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L'association vient de sortir un premier numéro consacré au célèbre sculpteur de Banyuls : Aristide Maillol, avec un entretien exclusif avec Dina Vierny, son dernier modèle et légataire universel. Celle-ci a donné de façon amicale, à la revue, tous les droits de reproduction. Rappelons que Dina Vierny a créé le Musée Maillol à Banyuls, ainsi qu'une importante fondation, rue de Grenelle à Paris, qui expose en permanence des oeuvres du sculpteur, ainsi que des expositions temporaires: en ce moment, des toiles de Pierre Bonnard. Enfin, Dina Vierny a permis que des expositions internationales aient lieu à Perpignan: en 1989, une rétrospective Maillol au Palais des Rois de Majorque et, cet été, au Palais des congrès de Perpignan, une très belle exposition consacrée au maître de Collioure. A noter que la revue, au prix modique de 25 francs, est en vente. Modalités d'envoi par e-mail
Vers le Jardin Ombragé
a poésie du
mois de mai m'a mené à Banyuls. Un soleil orageux préfigurait l'accablement
du temps estival. Dans l'étroite vallée de la Roume, la chaleur, déjà,
s'accumulait. Les vignes étaient peintes du vert énergique du printemps ; s'en
détachaient de minuscules grappes aux rêves muscatels.
Le jardin "noyé d'acanthes" de Maillol (atelier de Banyuls). photo J.P Bonnel
Dans les méandres de
la route, je pensais à vous, Dina, qui faisiez
à pied ce chemin de poussière et de faux plats, cet interminable chemin qui
veut peut-être signifier : accéder à la métairie, cela se mérite. Soixante ans ont passé,
par là aussi Le paysage s'est transformé : le goudron de la route, les maisons
inédites, les mas remontés par des Etrangers Mais non, finalement, rien n'a
changé. Pas les triangles des vignobles. Ni les collines des pins toscans. Ni
les figuiers barbares poussées en sculptures orgueilleuses. Et voici l'olivette
N'a pas changé, sans doute, votre souvenir de ce temps primordial : l'âge de
l'adolescence, des initiations, des désirs d'escapades, des plaisirs du corps.
On a raison, quand on a quinze, seize ou dix-huit ans, de ne pas être sérieux
; on a raison de ne pas vouloir entendre la morale, c'est-à-dire l'amertume et
la jalousie des vieux. Je me disais que ce bel âge, des courses folles, de l'inconscience de vivre, avait dû décider de votre vie et déterminer votre avenir : côtoyer un artiste immense, qui fut en même temps un homme simple, naturel, presque "brut", et un père autre, devenir son modèle - je veux dire: son miroir- ultime, hélas, et on ose imaginer ses blessures profonds de ne pas vous avoir rencontrée plus tôt Maillol aurait eu le temps d'approfondir son art, d'aller au-delà des limites de son génie, d'atteindre la perfection de l'harmonie. Cependant, en fin de compte, peut-être est-ce mieux ainsi; la perfection n'est pas humaine - c'est bête de le constater- la finitude est une utopie, la quête est sans fin: là réside le tragique de la condition de l'homme; celui-ci doit accepter sa faiblesse pour trouver l'apaisement en lui, avant cette sacrée paix sans bornes La
paix, elle est là, embusquée derrière le virage, au bout du sentier. Elle
s'appelle fraîcheur verticale des cyprès, elle se nomme silence d'un quadrilatère
de verdure. Elle est perspective d'un éternel jardin ombragé. Elle est beauté
quand elle est exprimée par la nudité galbée d'une femme, et au-delà de la méprise
des sens, il s'agit de lire, avant tout, la nudité d'un cœur, la
vérité d'une âme. Vous
avez raison: le lieu est une chapelle. A l'air libre. Fidèle à la magnificence
de cet art de plein air voulu par Maillol. D'une
œuvre populaire. A la mesure d'une religiosité dépouillée de tous ses
accessoires en trompe-l'œil. Jusqu'à l'inutilité d'un dieu. Ne se concentrer
que sur l'homme, sur son tas d'os. Et sur la femme, métamorphosée en bronze.
Chair devenue inconsistance de la poudre. Viande devenue omniprésence de la
pierre. Tout le paysage et l'infini du monde sont ramassés, ici, en une pensée.
En une architecture sans discours ni détail superfétatoire: une sculpture pour
un jardin ombragé. Pour une maison silencieuse. Vous
avez dû hésiter avant de permettre l'ouverture de cette intimité à la rumeur
du monde, à la curiosité anonyme, à la foule rapide et ignare de l'été.
Mais tout cela n'est rien, qu'une vague de mots, qu'un flux de pas éphémères.
Maillol ne les entend pas: il n'entend que le silence d'une paix née d'un
travail bien fait. Maintenant,
au cœur de l'après-midi de mai, je ne suis plus qu'un visiteur, qui a descendu
les courtes marches et se retrouve, ému, vidé, sur ce sol si modeste. L'émotion
prend le visiteur s'il arrive à
prendre conscience de cette évidence : l'artiste est là, sous le socle -
pesanteur indéplaçable - de Méditerranée. Le nouement le prend à la gorge s'il est
capable d'imaginer la mort, le néant habillé des mille facettes du vert, des
mille pirouettes de la lumière méditerranéenne. En
effet, ici se trouvent convoquées les sources de nos imaginaires et l'amont de
notre inspiration: le passé antique, la permanence d'un art épuré, les images
valéryennes du cimetière marin, la tentation de l'Orient et, dans le même
geste, le futur, toujours recommencé, toujours angoissant; mais le sculpteur
nous pousse en avant, nous confie l'indépassable leçon de courage: celle de
dire que la pierre, même si elle semble mutine, nous parle, et que le monde, même
s'il paraît souvent valser à vau-l'eau, porte un sens. Et ici, corps de femme,
silhouette de galet, cœur de nèfle, mémoire de fossile, dissémination rouge
et vitale du fruit grenadier, le message est poésie. Aristide a su dépasser
l'oxymore des sœurs ennemies, lier les intimités des jumelles inconciliables:
la femme et la mort, la vie et la mort, la beauté et la mort. Epousailles
infinies, accolement éternel des deux dénuements de l'existence et du déclin.
Maillol n'a voulu comme compagne que la belle et pleine jeunesse, et comme on le
comprend d'avoir su, ainsi, demeurer lui aussi jeune et beau ! Et comme je me
sens tout d'un coup un visiteur
bien importun Afin
de repousser l'indélicatesse de ma présence, puis la force de mon émotion,
j'ai préféré, Dina, vous imaginer vive et
souriante dans l'enclos de cet atelier du bout du monde. Vous avez dû brider un
peu le dynamisme fou de l'âge tendre, l'élan de la poésie du corps et vous
infliger la paralysie des longues séances de prose C'est vrai, le beau temps de
Catalogne permettait que l'atelier s'installât sur le seuil de la bâtisse!
Encore l'art du plein air Je voyais Maillol
heureux dans ce morceau d'éden, balisé par la rivière, en contrebas, et le
chemin, perché, menant au mystère des crêtes. Je le regardais travaillant et
vivant, vivant et travaillant, d'un même élan. Et se fabriquant, dans la tête
et les mains, grâce à Dina la vie, l'indéfectible
certitude de l'inexistence de la mort. La
tombe de Maillol ou l'insouci de la mort.
Ludovic Massé "en compagnie" de son fils Claude...
Jean-Pierre Bonnel - Banyuls - 12 mai 2000 Une nouvelle inédite en français de Jordi Père CERDA traduite du catalan par Madeleine VIDAL Aristide MAILLOL, mon compatriote (par ludovic Massé)
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