la plage du Racou vue par Etienne Terrus est exposée au musée Rigaud de Perpignan

 

4ème publication de "FRONTIERES"

"les peintres en Roussillon"

Terrus-Matisse-Derain-Suspuglas-Picassso-Braque-

Patrick Loste-Soutine...

En collaboration avec les Presses Universitaires de Perpignan et son directeur :

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(dernières publications des cahiers de l'université: séminaires sur Claude Simon et sur Ludovic Massé, 100 francs  le volume)

 

 

                                    Louis Ferdinand Soutine

 

 

QUELLE DIFFERENCE y a -t-il entre peinture et art ? Sans doute la même qu’entre dissuasion et encouragement. Ce n’est pas seulement une divergence d’attitudes, c’est surtout une différence d’époques. Que dis-je, une différence ? C’est une fracture, c’est un fossé, c’est un abîme. C’est un gouffre. Le gouffre qui sépare les temps anciens (tous les temps anciens jusqu'à la seconde moitié du 20e siècle) de notre âge terminal dit contemporain.

La peinture de Soutine, comme celle de chaque peintre à travers l’histoire de la peinture, avait pour but de rendre la peinture non pas plus facile, plus légère, plus accessible à tous, mais au contraire plus difficile, plus lourde, plus intimidante. Plus inhibante pour l’imprudent qui poserait sa candidature à la succession. Plus exaspérante de difficulté comme un défi à relever.

Tous les grands peintres ont eu cette fonction dissuasive et paternelle. Cette action d’empêchement, d’intimidation et d’inhibition. De découragement à se mettre à peindre. D’aliénation pour leurs disciples, leurs élèves ou leurs plagiaires. De difficulté de transmission. L’histoire de la peinture est une épopée de générations qui se dévorent les unes les autres, de secrets qui se repassent, de luttes au couteau entre pères et fils. Entre pères triomphants et fils aux dents longues.

Avec notre âge terminal, commence autre chose : la ronde des fils entre eux, leur rotation sans fin dans le monde de l’art affranchi des “ règles ”, mais doté d’un même privilège pour tous, celui de se dire artiste sans avoir bêtement à en donner les preuves.

Soutine n’aidait personne à peindre. A rebours des bons apôtres stimulants et applaudisseurs de l’ère culturelle, son génie était de n’inviter aucun peintre à le suivre. Qui aurait eu le courage, d’ailleurs, de se perdre dans ses chemins impraticables, de refaire ce trajet extravagant, depuis les maisons exorbitées de Céret, jusqu’aux grands arbres dans les coups de vent des dernières années, en passant par les routes de Cagnes qui décollent en vrille, et  tous ces bourbiers rouge et or qui s’intitulent Canard pendu, Dindon, Nature morte à la raie, Guéridon aux victuailles, Glaïeuls, Bœuf écorché, Bœuf et tête de veau, Guéridon aux tulipes, Fleurs et poisson, Veau au rideau rouge, Mouton à l’étal ? Soutine aggravait toutes les conditions d’accession à la création. Il décourageait les vocations et les bonnes volontés.

Chacune de ses toiles était un obstacle. Rien n’est plus antipathique aux sensibilités d’aujourd’hui que le principe de réalité. Si l’art a remplacé la peinture, c’est qu’il a su tout de suite caresser dans le sens du poil le principe de plaisir qui vise la satisfaction instantanée (être artiste) sans en passer par l’apprentissage (savoir dessiner, savoir peindre, id est : sortir péniblement du rêve). Quand la réalisation du désir se révèle possible éternellement, et à volonté, sur le mode hallucinatoire, pourquoi se fatiguer à rechercher un objet réel ? “ Tout homme est artiste ”, chuchote le propagandiste contemporain. “ Moi seul suis peintre ”, ont dit successivement tous les peintres de tous les temps et de tous les pays.

Dans le Nouveau Monde féerique, Soutine n’a pas de place. Aucun peintre n’aurait de raison d’être, du moment que la réalité, toute la réalité, est un cours de réhabilitation, sur le modèle des centres-villes muséifiés avec lesquels il est impossible d’établir la moindre complicité, même sur des bases hostiles. Quand le monde extérieur commence à se prendre pour une apothéose de perfection visitable et camescopable à merci, il devient largement impeignable. Qui se fatiguerait à braver notre nouvel interdit de la représentation en prenant comme sujet un péage d’autoroute, une mobylette, un ordinateur, une voiture stationnée avec un PV sur son pare-brise ? Personne (les pervers de l’hyperréalisme se sont vite retirés de cette affaire mal engagée). A quoi bon ? Et comment introduire de la disparité figurée dans cet univers étanche et parfait ? Comment faire trembler le masque de mort du temps présent ravalé par une chirurgie esthétique et plastique implacable,

Soutine était magnifique parce que la fin de l’histoire de la peinture (il est mort le 9 août 1943, en pleine France pétainiste), il a été l’un des derniers à faire de son œuvre un roman du désaccord. Pour que le paraître du monde apparent en vienne encore à l’apparaître, il ne faut pas hésiter à le brutaliser. Soutine ne peignait scrupuleusement la réalité que pour mieux la contredire, et c’est dans cette opération qu’il inventa son style. Si la contradiction est la racine de tout mouvement, si aucune chose ne peut se mouvoir  (vivre, agir) quand elle ne porte plus en soi de contradiction, alors c’est la contradiction qui est le réel même. Et sauver la contradiction, en quelque domaine que ce soit, c’est sauver la réalité. Et sauver la réalité, c’est sauver (provisoirement) la peinture. Soutine a sauvé en même temps la contradiction, la réalité et la peinture.

 

RENDRE AU REEL :  L’IMPREVISIBILITE

 

Coups de vent à contresens dans les Arbres d’Auxerre : Soutine ne peignait pas les choses pour les tuer, mais pour les dompter. Les contrecarrer. Trouver ce qui contrarie leur mouvement, chiffonne leurs formes, les entrave. Toute représentation est une contradiction, et Soutine le savait d’autant mieux qu’il venait d’un monde, d’une civilisation, où l’interdit de la représentation n’était pas une plaisanterie. Avec lui, l’aventure picturale n’avait rien d’une expérience tranquille, ni d’un dîner de gala. C’était un dressage. Une corrida. Un affrontement avec la bête brute (nature, gens, phénomènes) d’où sortaient tous ces portraits agités et saignants, tous ces peupliers aux troncs qui divergent, tous ces platanes désaccordés de Céret, et ces maisons soulevées de terre. Bien entendu, la bête n’était jamais sonnée définitivement, il fallait tout recommencer encore et toujours. Confondre ce qui se veut séparer. Dissocier ce qui se veut uni. Re-tourmenter sans fin le grand platane de Vence. Harceler sans arrêt le vase aux glaïeuls. Accumuler enfin ce que les spécialistes appellent des “séries ”. Ce n’est pas parce que l’œuvre de Soutine s’offre à la pathétisation facile qu’il faut encore en rejouter D’une façon générale, les commentateurs n’y sont pas allés avec le dos du stéréotype lorsqu’ils ont parlé de lui. Torrent de lave, délire morbide, jaillissement de lyrisme, sauvagerie d’entrailles : ils ont préféré en faire le prototype de “l'artiste maudit ”,  ça ne mange pas de pain, que de comprendre l’hostilité existentielle qui se dégage d’une telle œuvre. Même si elles apparaissent comme tragiques à beaucoup, ses bêtes égorgées, volailles, lièvres, bœufs pendus, étaient des métaphores de la contradiction. Des figures du négatif qui fait vivre. Feuillages dans le soleil, fouillis d’orties dorées, villages en buissons, escaliers de ronces et dégringolades de lumières en lanières : regardez donc en face tout ce qui va disparaître pour que s’installe l’ordre nouveau de la Prévention mondiale et généralisée. Ses arbres tordus étaient des éloges de la prédation sans laquelle toute espèce agonise misérablement. Les visages électrocutés de ses modèles humains redevenaient vivants parce qu’il les déformait. La couleur elle-même se battait avec les formes qu’elle réveillait en les giflant, pour rendre au réel, juste avant qu’il ne meure, sa qualité vitale : l'imprévisibilité.

Une dernière fois, avant le grand saut (dans le virtuel, le contrôle, la prévision, la protection et tout le bataclan de maintenant), tout fut, là, rendu à l’Incalculable.

Soutine peignait comme plâtre. Et même sans vouloir établir des liaisons trop évidentes entre son “ roman d’origines ” et l’œuvre qu’il développera, on ne peut pas oublier qu’en Lituanie, dans son enfance, à Smilovitchi, il a été roué de coups par deux de ses frères aînés parce qu’ils trouvaient honteux qu’il veuille devenir peintre. Soutine peignait ses toiles à bras raccourcis. Il leur tombait sur le paletot. Avec lui, tout sujet allait au casse-pipe. Le “ motif ” ressortait de la confrontation tout invectivé des pieds à la tête, abreuvé, postillonné, craché dans un rire jaune. La fameuse “ vallée des larmes ” du monde s’emplissait d’un torrent de couleurs ravageuses de berges. Couleurs et colère. Colère et couleurs. Raisins de la couleur. Raisons de la colère. Toute approbation était impensable, toute liquéfaction dans la fraternité ou la solidarité refutée d’office.

Soutine peignait comme on en vient aux mains.

Ses sujets étaient des objets de réprobation.

 

                                                                        Philippe MURAY

Publié avec l’aimable autorisation de la revue “ ART PRESS ”.

 

Patrick Chappert-Gaujal  ou  L'enfance aux bois flottants

Leucate La Franqui

La mer de l'enfance

Retrouver ce pays affectif

Ce temps des images formatrices

Indestructibles

 

Sur la toile peinte de haut

Cette géographie des lieux sentimentaux

Cette carte du tendre verticale

Plus poétique qu'un plan d'état-major

Avec ses parcelles de souvenirs

Ses cellules d'amour

Ses géométries sensuelles

Relief de l'enfance

La profondeur est trouvée dans les bois collés ajustés et peints

 

L'œuvre doit devenir fidèle à l'idée intime de l'âge premier

L'abstraction est représentation mentale

Paysage concret pour celui qui a l'objectif de retrouver

Cette saison du bonheur bleu

Pour la prolonger dans le présent de la maturité

D'ailleurs le tableau

Qualifié d'abstrait

Est des plus matériels

Nourri d'objets dont la vie se prolonge dans ce jeu de construction

Précise au code personnel et secret

 

Il était une fois des bois ayant flotté

Des mois des années

Venus d'une forêt voisine

Ou de l'autre rive de la Méditerranée

Objets- signes qui disent le voyage la mémoire la patience du temps

Le monde des échanges incessants

Le dialogue silencieux des hommes à travers le village- monde

La littérature magique de la bouteille à la mer

Les rencontres fortuites

Car au départ le matériau n'est que hasard trouvaille façonnée par

Les forces du flux  le vent du large  l'atelier d'un sculpteur pélagien

Puis

Ces bribes d'univers  ces natures mortes  sont choisies remodelées par

L'artiste qui donne forme et sens  qui réinvente le monde

Un monde à soi

Les figures fantasmatiques d'un moi unique

 

La toile devient alors architecture avec sentiers frontières limites en pointillés

Spectateurs vous envisagez ces chemins de randonnée

Tentez une aventure imaginaire parcourez un lieu imaginaire

Le code est à inventer

Il est là bien présent mais n'entre pas qui veut dans l'arcane

De l'enfance

 

Aussi ne vaut-il pas mieux attendre gagner du temps demeurer dans le questionnement

Rien que pour prolonger le plaisir esthétique et l'émotion

Rien que pour rester encore un peu

L'espace d'une éternité

Dans le leurre

De l'enfance à Leucate La Franqui

A jamais ensablée dans le sommeil

Forêts de l'impossible retour

Plages de l'utopique bonheur

 

Jean-pierre Bonnel  /  juin 99

 

L'exposition Ferrante Ferranti

                                         

 

 Marguerite PASSOTTI  

Tableau de Augustin Manicotte

Exposition à Collioure jusqu'en Janvier  2001