patots de Claude Massé
(photo J.P Bonnel)
Claude MASSE par Didier MANYACH
Claude
Massé
Né
le 21 mars 1934 à Céret dans les Pyrénées-Orientales, Claude Massé est le
fils de l'écrivain Ludovic Massé (1900-198 romancier catalan d'expression
française qui se lia d'amitié avec Jean Dubuffet pendant les années de
guerre, en 1940.
Elevé
dans le haut-lieu du cubisme, il grandira, grâce à son père, dans la
familiarité des artistes, écrivains et peintres principalement (à sa
naissance, son parrain est
Tristan Tzara et il posera à maintes reprises pour Raoul Dufy de 1947 à
1952). A seize ans, au cours d'un voyage à Barcelone, il découvre
l'architecture de Gaudi qui le fascine, puis trois ans plus tard, en 1953,
s'exile à Paris où il suit quelque temps les cours de l'Ecole des Arts Décoratifs
et travaille ensuite dans une agence de presse, se liant avec des peintres et
des poètes comme Roger Bissière ou Henri Pichette. Il perd sa mère Louise
en 1955 rencontre l'année suivante Catherine Morro, qui devient son épouse
et commence à prospecter dans sa région d'origine ce que, par suite, il
appellera l' « Art Autre », les productions autodidactes de
marginaux de la création.
1962,
peu après la naissance de son fils Christophe, Claude Massé revient au pays
et s'installe à Perpignan où il trouve à la Bibliothèque Municipale un
poste qu'il conservera jusqu' en 1974. Il sera ensuite successivement
documentaliste à l'Ecole des Beaux-Arts puis au Musée Hyacinthe Rigaud à
partir de 1984). En écrivant des poèmes, il rencontre alors Jacques Queralt
(avec lequel, plus tard, il s'activera à faire connaître l'œuvre de son père
et fondera les éditions " Gatimells " en 1982), mais surtout
commence à travailler " des cartons avec des colles ", créant une
première série de quatre cents pièces, jamais montrées, dont la moitié
sera détruite. Multipliant les initiatives de 1967 à 1972, il dirige le Musée
d'Art Moderne de Céret où il réalise quatorze expositions, rencontre Claude
Viallat, Marc Chagall, Pablo Picasso, voyage en Belgique, Hollande, ou
Angleterre, et devenu vraiment collectionneur, accumule les découvertes d'art
"autre" qu'il signale à mesure à jean Dubuffet, avec lequel i'
entreprend une correspondance régulière à partir de mars 1968 (après Elise
Palaudoux dite Nataska, puis Jean Pous, François Baloffi, René Guisset,
Albert Marre, Fernand Michel et Pépé Vignes, il lui fera connaître Ciska et
Chichorro, exposera Joachim Vicens Gironella en 1972, etc. En une vingtaine
d'années, sa collection réunira plus de 1100 œuvres de 90 créateurs, avant
d'être brutalement interrompue en 1985, à la mort de Jean Dubuffet.
Parallèlement,
en 1968-1969, Claude Massé se tourne vers l'art postal, d'abord avec une série
de soixante-quatorze " Lettres-Correspondance " (textes plastifiés
collés sur des tubes de 30 à 80 cm mais pouvant aussi atteindre jusqu'à
sept mètres), puis de 1970 à 1974 avec quatre cents " Colis postaux ou
Bibliographies ", lettres plastifiées adressées à divers
correspondants et collées sur les faces externes de paquets confectionnés
par lui-même. C'est finalement en 1979 que, stimulé par la fréquentation
des Beaux-Arts, il entreprend ses premiers travaux de liège : d'abord ses
" Capsules et Clous " puis, par dizaines chaque jour, des légions
de " Patots ", personnages dérisoires (le " Patot " est
un vaurien) réalisés par assemblage de tubes en liège et de simples
bouchons de champagne.
A partir de
cette époque, sa production est tellement prolifique que dès sa première
exposition personnelle, organisée par Christian Delacampagne à l'Institut
Français de Barcelone en 1984, Claude Massé pourra présenter mille six
cents Patots, allant jusqu'à trois mille huit cents la fois suivante. Puis
insensiblement les Patots évoluent, grandissent, deviennent les "
Personnages ronds ", les Cérétans, les " Christ lépreux " et
" Patots Christ " (avec dentelles de couleur et utilisation du fer),
pour aboutir à la série des " Forfants ", plusieurs milliers de créatures
avec lesquelles il organise des happenings sur les plages.
Depuis, la
notoriété de Claude Massé n'a cessé de croître, comme poète, artiste ou
collectionneur. Ses nombreuses publications, les reportages filmés sur son œuvre,
l'édition de sa correspondance avec Dubuffet, une série également de
commandes publiques pour la réalisation de bronzes monumentaux ont fait de
lui le représentant incontournable d'une certaine vision de l'art dans la région
Languedoc-Roussillon. Une réputation bien méritée que vient donc consacrer
une grande manifestation d' « Art Autre », présentant à
meilleur de sa collection dans la ville de Gérone, en Catalogne espagnole, au
mois de septembre 1995.
Claude
Massé est un créateur intarissable. Il dessine également beaucoup, par séries
: des têtes, des coqs, des chats, le dessin venant toujours après la
sculpture, Pour l'église de Casefabre, il a réalisé un retable de 5 mètres
sur 4 avec 6 924 personnages numérotés. Même les fers des bouchons de
champagne lui sont utiles pour fabriquer des têtes de taureaux. Dans sa récente
série de "têtes " en liège, il utilise hameçons, plombs de pêche,
cordage, fil de fer, capsules et clous. Sa dernière passion est la confection
de petits livres-objets illustrés de collages (en vieilles étiquettes de vin
sur papier boucherie) : Le Promeneur de chien, Petite Encyclopédie du Chat,
la Dame blonde au chat du Perthus, etc
...
Laurent
Danchin
Le livre des
vies
- Art brut et compagnie. La face cachée de l'art contemporain. (Editions Halle Saint-Pierre - La Différence)-
André Roger chez Claude Massé
Claude
Massé
Qu’est-ce
qu’un visage ? Voilà une question intéressante ! Qu’est-ce
qu’une chose ? Est-ce que le patot, par exemple, est une chose ? Le
patot, lui, produit un effet immédiat et global sur l’œil et le psychisme du
spectateur. Rien ne semble, a priori, apparent, pour nous dévoiler la
personnalité de l’artiste, ni ce qui caractérise son originalité, ni même
le moment historique de sa création ; toutefois le matériau utilisé se
spécifie d’un contexte géographique délimité à l’espace méditerranéen
et, ce n’est pas le moindre des indices. Nous sommes là, renvoyés à nous-mêmes,
confrontés à ces personnages muets, hiératiques, obstinément fermés sur
leurs secrets, ouverts sur un cri ou un rire à jamais inaudibles. Le face à
face avec cette multitude, la possibilité – ou l’impossibilité, allez
savoir – d’en isoler un de son groupe, nous renvoie à notre nature grégaire,
et en même temps à un isolement silencieux qui nous arrête, nous pétrifie,
nous statufie, face à ce qui gît au plus profond et au plus archaïque de
notre identité. Miroir grimaçant, grotesque, pathétique, qui nous dévoile la
nudité glabre de notre image dans le monde. Dans sa dimension multiple et dans
son désir d’omniprésence, le patot devient alors omnivoyeur : « J’aime
savoir où il va et où l’acquéreur va le positionner ; et là, en
fonction de l’accrochage, il occupe une place de voyeur. ». « Qu’on
le suspecte, qu’on l’aime ou pas, il est là, présent. » Cette démultiplication
du regard interroge en quelque sorte, par sa fixité impitoyable, la question de
la mort. « Le patot, pourtant, n’est qu’une ébauche de corps,
relation avec la petite enfance. » Proximité de la mort et de la
naissance, comme chez les Topinambas de Nouvelle-Guinée, où quand un enfant
vient au monde, on dit : qu’ «il entre en agonie. » Il y avait des
poupées de chiffon dans n os berceaux d’antan, petites poupées misérables
confectionnées par nos mères… Des poupées de rien, de misère, faites avec
des chiffons et des bas. » J’évoque subrepticement Winnicott :
« C’est bien un cordon ombilical non coupé. ». « Il faut
considérer aussi que, dans notre culture catalane, le petit garçon
ne doit pas avoir de poupée : c’est tabou pour lui.
J’ai découvert les patots très récemment ; j’ai été quelque
peu bouleversé et honteux d’avoir méconnu l’existence d’un tel artiste,
qui se qualifie de « boulimique » et qui ne cesse de faire proliférer
cette foule, cette armée, ces envahisseurs. C’est à ma demande insistante
que j’ai réussi, le mardi 2 février 2001, à réunir deux vieux complices de
Claude Massé : Claude Delmas et Jacques Quéralt .
André Roger : Claude, pourrais-tu nous dire
comment cette aventure avait commencé ?
Claude Massé : J’avais des relations de
travail fréquentes avec des peintres et des sculpteurs, mais moi je ne créais
rien. Lors d’une balade en forêt, j’ai voulu épater Catherine et j’ai réalité
un premier collage avec des morceaux de liège (Je dois dire que l’écriture
reste aussi pour moi un collage.)
André R. : C’était du bricolage ?
Claude
Massé: Non ! (avec véhémence) Je déteste le bricolage, quelle que soit
sa forme D’ailleurs, guerre aux bricoleurs ! Ensuite, j’ai continué à
collecter des morceaux de liège, ou bien de les récupérer dans des usines, et
à les assembler sur des plaques d’agglo. A cette occasion, j’ai trouvé des
fagots d’agglo de liège, en forme de cylindre d’environ 70 centimètres de
long, et j’ai commencé à fabriquer des cannes, comme le font les bergers
landais. Au fur et à mesure j’ai réduit ces tubes à une quinzaine de centimètres
et j’ai créé un premier personnage. ( idée toujours en ma possession). Je
ne me souviens plus quand j’ai prononcé le mot « patot », mais je
sais que ça m’a évoqué le mot « poupée ». Durant quelques années,
le terme « patot » est resté comme une chose un peu sacrée. Alors,
j’ai fait des recherches sémantiques, mais je n’ai pas trouvé
d’explication satisfaisante. En fait, ça signifiait pour moi l’idée d ‘un
pauvre type, d’un moins que rien, d’un tricheur, d’un individu rejeté.
Par provocation, j’ai accentué ses traits. De fait, derrière cette
caricature de personnage blessé, je me suis reconnu.
Jacques Quéralt : Oui, d’accord, un
personnage, c’est une chose, mais deux cents, cinq cents, dix mille…C’est
tout à fait autre chose ! Peut-on parler d’une production au sens
industriel du terme ? Ou pourquoi pas quelque chose de l’ordre de
l’obsessionnel ?
Claude Massé : Je parlerai plutôt d’une
dimension qui est de l’ordre du pathétique. Disons, avec le besoin d’être
présent. Cette dimension boulimique de mon travail, c’est comme pour
être présent partout dans le monde. J’ai besoin de voir mes
personnages se reproduire. Cette production, c’est de l’ego, c’est moi.
Jacques Quéralt. : Peut-on dire qu’il y a
dans cette multiplicité une relation à la mort, à une infinité de petites
morts ? Ou bien, alors, une sorte de muraille qui tendrait à éloigner
cette mort ?
Claude Massé : C’est bien ça : éloigner
la mort. Ce qui m’angoisse de façon permanente, c’est la foule. Voyez une
foule dans un stade, c’est magnifique, mais à tout moment, ça peut dégénérer.
Mes personnages, eux, restent figés dans un lieu, on ne devrait donc pas
s’inquiéter ; pourtant quand des visiteurs les approchent, il y a deux
sortes de réaction : ceux qui trouvent les patots drôles et pleins
d’humour, c’est le cas des enfants en général, et puis il y a ceux qui se
sentent envahis par une crainte, une peur diffuses.
L’expérience la plus troublante, je l’ai eu lors
de la visite imprévue d’un groupe d’une trentaine de personnes, rescapés
de Dachau : je les conduisais au premier étage de mon expo au centre
d’art contemporain de Saint-Cyprien, et là, face aux patots, ils se sont figés,
se sont tous mis à sangloter, ils se remémoraient les chiottes de Dachau.
Souvenirs de détenus, nus, debout au-dessus d’un
interminable ruisseau, en train de pisser et de chier. Ca m’a vraiment mis mal
à l’aise.
Claude Delmas : Comme pour tout créateur, tes
patots t’échappent, tu n’es pas maître de leur destin. Je Considère un
patot seul comme une sorte d’icône immobile ; mais assemblés ainsi en
masse, en tribu, alors là, je les vois fuir, s’en aller à travers le monde,
s’installer ailleurs pour perdre leur identité, leur fausse identité
catalane, peut-être. Moi qui me considère aussi comme un patot, il a fallu que
je parte, que je m’expatrie, et ce n’est que récemment, grâce à tes
patots que j’ai pu retrouver mes origines ici.
Claude Massé : C’est ta position subjective.
Il est vrai, cependant, que je préfère les expos lointaines. Montrer mon
travail ailleurs me permet de me défouler. Ma création s’éloigne de mon
regard et de ceux qui sont proches. Delmas, croit que ce pays le refuse, moi, je
n’ai pas cette obsession. Après quarante ans d’absence, il éprouve quelque
difficulté à s’y intégrer. Je ne peux pas dire que je sois totalement
insensible à ce malaise, la plupart de mes amis vivent « à l’extérieur ».
Lle regard extérieur est neuf et surtout dénué de préjugés.
Claude Delmas : Pour moi, les patots sont des
maudits au même titre que cette mosaïque de cultures : Juifs, Basques,
Cathares, Béguins…qui se ont progressivement assimilés à la terre catalane.
Dans ce mélange détonnant, nous acceptons difficilement d’y reconnaître nos
origines. ( Je pense du reste que le Christ est d’origine catalane). Quoi
qu’il en soit je serai à jamais redevable à Claude Massé et à ses patots
de m’avoir permis de réintégrer ce pays, et plus encore, une rencontre
inopinée de patots à Florence, pendant une période difficile de ma vie, m’a
permis de me remettre à l’écriture. La rédaction par bribes de phrases dictées
à ma femme Catherine durant ce voyage en Italie est à l’origine des Catalans
sont des patots, dans le même mouvement, je me suis remis à réécrire de
la fiction. Je dois dire que le contenu de mes livres, qu’ils se situent à
New York ou ailleurs, fait sans cesse référence à ce pays.
De plus, la force d’évocation des patots me
rappelle notre jeunesse à Perpignan, avec tout l’aspect tabou de la sexualité.
Claude Massé : La discrimination sexuelle des
patots est ambiguë. Au début, ils étaient affublés d’un imposant phallus.
Dubuffet m’ayant indiqué la nature excessive de cette présence, je les ai désexualisés,
si bien que rien ne peut aujourd’hui prouver l’existence de leur non-féminité.
Claude Delmas : Moi je m’imagine souvent avec
un patot entre les jambes.
C.Massé : On peut dire que le patot est
travaillé comme une verge qu’on tient dans sa main. Un cylindre chaud et
souple, de sept à huit centimètres, jusqu’à quinze centimètres de long,
que je manipule. Et puis je vais l’inciser, lui mettre des yeux, un nez, ça
a, en effet, quelque chose de grotesque. Au reste, je pense qu’une verge,
c’est assez grotesque.
Claude Delmas : Est-ce que ça aurait rapport
aux femmes de notre jeunesse ?
C.Massé : Ma mère Louise est morte quand
j’avais vingt-quatre ans, et toute sa vie s’est ensuite tournée vers les
femmes : ma sœur d’abord, Cathy ensuite. C’est vrai sans doute que ces
poupées de chiffon d’origine renvoient au cordon ombilical.
Claude Delmas : Moi, malgré l’amour immense
que je portais à ma mère, le jour de sa mort, je me suis senti devenir un
homme libre. Dans notre culture catalane, la femme pèse un tel poids que, de
temps en temps, on a envie de s’en débarrasser.
(Quéralt, craignant que notre conversation ne
s’enlise dans une « confiture psychanalytique », énonce qu’en
catalan, quand on propose à un enfant de dessiner, on lui dit : « Fes
me un sant ! » - « Fais-moi un saint ! », et il
ajoute : « En vérité, ta toute première expo qui eut lieu en
Andorre était un chemin de croix. Quelle est la part du religieux dans ta création ?
Claude Massé : Même si ce n’est pas évident
au premier abord, je tends de plus en plus vers la religiosité. Les objets qui
sont présents dans les églises et les cimetières me bouleversent toujours.
Autant je suis ignorant de la mythologie chrétienne, autant je suis très
sensible aux objets de cette religion et plus encore à la dévotion des saints.
C’est pourquoi j’aimerais consacrer une partie de mon travail à la décoration
des églises.
J.Quéralt : Et la présence du clou ?
C.Massé : Oui, aussi, c’est Christian
Delacampagne qui m’a fait découvrir ça à Serralongue. Même si le clou,
parce qu’il est en fer, me met mal à l’aise, et me rappelle l’agressivité
et la mort, je l’ai toutefois
utilisé pour pour fixer, pour
figer mes personnages à une
certain époque.
A.Roger : Peut-on dire que la corne, dans la série
des taureaux, a cette même fonction ?
C.Massé : Pas vraiment ! C’est parce que
mes amis Jean-Louis Vila, Claude Delmas et Claude Viallat sont des aficionados,
que j’ai décliné abondamment la thématique du taureau. Il s’agissait là
d’une facilité de ma part. En fait, je travaille avec énormément de
difficulté, je suis peu habile de mes doigts ; ces taureaux n’ont rien
d’indispensable, ils sont plutôt anecdotiques.
André Roger : En fait, depuis des années, le
concept de patot ne s’est-il pas orienté différemment, sur le liège ;
et puis tu t’investis de plus en plus dans le collage.
En vérité, le patot n’existe plus depuis 1986.
Comme dans la tradition de la peinture ou de l’écriture, voyez Dubuffet ou
Jarry, ces personnages sont en quelque sorte une marque, une image de marque qui
est restée. Voilà, un peu comme l’Hourloupe, qui m’a plu à une époque.
Ensuite, d’autres personnages ont apparu : les brûlés, les concassés,
les Cérétans…
J.Quéralt : En fait, tes personnages ont besoin
d’un lieu pour exister. Et chaque expo que tu conçois dépend de cet espace.
Maintenant n’y a-t-il pas de ta part une pratique de l’exhibition, comme si
ta véritable période de ta création était passée.. ? Pourrais-tu
envisager que ton geste est contaminé par la nécessité de montrer à
l’autre ?
C.Delmas : Chez
moi, j’ai un patot adulte, un patot qui a grandi, exactement comme Claude qui
est devenu un autre Massé que celui qui lui a transmis son nom.
C.Massé : Non, il n’y a pas de rupture ;
je travaille la tête, pas les corps ; je retarde de jour en jour l’arrivée
du corps. Il faudra bien que je mette des bras, des jambes…Mais pour
l’instant j’en reste à la tête qui est un peu comme une empreinte. Pour
l’expo d’Arc-et-Senans, en 2002, mes personnages seront sûrement en
suspension et les têtes ne toucheront plus les corps.
J.Quéralt ! Curieux de séparer, différencier
la tête du corps !
C.Massé : Il n’y aura pas de cou ; le
regard attiré par le vide entre le corps et le visage va lui attribuer une
forme et lui donner vie.
J.Quéralt : Toute expo de toi n’est qu’un
regard particulier sur ton travail. C’est toujours un travail partiel
et…partial.
C.Massé : C’est un moment et une période de
ma vie sans doute différente. En fait une demande d’expo, c’est toujours très
important pour moi. De même que quand quelqu’un écrit sur mon travail, ça
me pousse à l’extrême, ça me permet de prendre conscience de ce que je peux
être et ça me donne l’envie d’aller au-delà de moi. Des textes comme
celui de C.Delacampagne, ou bien de Claude Delmas, ou d’autres, me procurent
un sentiment de reconnaissance qui m’enivrent, non par vanité, mais parce que
j’ai beaucoup d’estime pour leurs écrits, je le considère comme une
relation de pair à pair.
A.Roger : Quelle est l’importance du matériau-liège. ?
C.Massé : Disons que ça spécifie
essentiellement le plasticien de l’espace méditerranéen. C’est comme un
Maillol, placé n’importe où, on retrouve ses origines. Il se trouve aussi
curieusement que dans le calendrier celtique, le jour de ma naissance, le 21
mars, est dédié au chêne, arbre tutélaire, arbre du diable et des sorcières,
arbre fétiche et symbole de la durée.
C.Delmas : C.Massé, avec sa création, avec ses
patots, qui ne ressemblent à rien, il a créé une pure singularité. Pour moi,
il représente à la fois une synthèse de toutes les questions que je me pose
sur ce pays et en même temps (ici Delmas fait référence à l’idée d’ultra-local)
une ouverture sur un hors-temps et sur l’universel…
(Entretien réalisé chez Claude Massé par Claude Delmas, Jacques Quéralt et André Roger)