MAILLOL
Le
témoignage de Paul PUGNAUD -
Pour
honorer les morts de la guerre, MAILLOL n'avait pas voulu autre chose que
l'image d'un homme en train de mourir. Ceci pour le "sujet". Aucune
emphase, aucune "littérature". Et pour l'exécution: sans doute, un
des plus beaux morceaux de sculpture, où tout ce qui n'est pas purement
plastique s'abolit dans la puissante et harmonieuse combinaison des formes et
des volumes. Œuvre unique dans l'univers de Maillol, où, jusqu'alors, (à part
un petit bronze d'adolescent) seule la femme avait été le support d'une célébration
de la vie et des forces qu'elle enclôt…
…Un après-midi, je monte à l'Isle Grosse. Maillol travaille. Il tape
avec son maillet:
" Il ne
s'agit pas seulement de faire des volumes, il faut traduire émotion par les
jeux de l'ombre et de la lumière. Mettez-vous là, ajoute-t-il en m'indiquant
un emplacement un peu bas, vous embrassez à la fois la mer, le cap et cette
pierre qui prend alors sa signification: elle vibre avec l'ensemble."
Quelques
jours plus tard, à Cosprons, petit hameau entre Banyuls et Port-Vendres, c'est
la fête de "Pasquettes"; on danse, en plein air, non loin d'un
immense parasol. La cobla est juchée sur une estrade grossière contre un mur où
saillit un cadran solaire. J'aperçois soudain Maillol assis sur un tertre qui
domine la place. Il a son carnet sur les genoux et il dessine. Je vais le saluer
et sur son invite, je m'assois à ses côtés.
- Vous voyez, c'est ici que je travaille!
…Nous entrons dans l'atelier, petit bâtiment vitré à l'entrée du
jardin, occupé au centre par la figure du "Monument à Debussy",
destinée à la terrasse de Saint-Germain. Je remarque aussi une épreuve en plâtre
de Pomone…. Maillol me montre une série de grandes photos qu'il vient de
recevoir. Sur l'une d'elles je vois, groupés sur la pelouse, la nymphe du
"Monument à Debussy", Maillol et un homme à la barbe courte: Henri
Matisse. Admirable réunion, en ce champêtre décor, du grand sculpteur, du
grand peintre et du souvenir du grand musicien !
…Ailleurs, je remarque une robuste pipe, taillée, me dit-il, dans une
racine de bruyère arrachée à La Roubire. Il travaille à
"Harmonie". A 80 ans passés, j'admire sa jeunesse, son agilité, la
souplesse de ses mouvements. Plusieurs fois, je veux me retirer, mais il
m'affirme qu'une présence ne le dérange pas et qu'il aime deviser tout en
travaillant:
" Souvent, on me demande: qu'est-ce que vous avez voulu dire ? L'œuvre
est la seule réponse. Elle est là. Elle parle, mal ou bien, et, lorsque c'est
bien, alors elle chante…"
Paul PUGNAUD
(Ce rexte a paru la première fois en janvier 1992, dans la revue Conflent,
- numéro 175 -, animée par M.Lapassat, disparu il y quelques mois, et à
qui nous rendons hommage .
Paul
Pugnaud, originaire de Lézignan - Corbières, avait de fortes attaches en
Catalogne et, en particulier, à Banyuls. Ce poète exigeant a publié plusieurs
recueils de poèmes, en particulier chez Rougerie, à Limoges. Je l'avais
rencontré à Narbonne, avec l'éditeur René Rougerie, et avions échangé
quelques lettres, avant de nous perdre de vue et d'amitié - et il en est, hélas,
d'autres, et je pense à Jacques Gasc-; le seul lien qui subsiste est d'avoir
publié ensemble des poèmes dans un numéro spécial de "Poésie Présente",
chez Rougerie… Sur l'œuvre de P.Pugnaud, il faut lire l'étude d'André
Vinas, publiée chez Subervie. - J.-P.Bonnel
)