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                      VISAS

 

A propos de  VISA, festival du photo-journalisme de Perpignan, animé par Jean-François Leroy

 

 

La photo de mort se meurt, et l’image de Leroy est morte : vive la photographie !

 

 

 

 

         Le public catalano-cosmopolite de « Visa pour l’image » n’est pas dupe : le photo journalisme ne fait pas dans la dentelle, ce n’est pas de la photographie, ce n’est pas de l’art ; pire : c’est la mort de la photo, car l’image omniprésente de la souffrance et de la mort rôde dans les lieux d’exposition, historiques ou religieux, de la cité catalane.

 

 

         Il y a un siècle, environ, - il faut se référer aux analyses, entre autres, de René Bazin et de Walter Benjamin (1)-, l’invention de la photo a tué la peinture (ou, du moins, l’a plongée dans un état de crise grave et chronique; l’autre cause de la « décadence » picturale fut la tendance de l’œuvre d’art à rallier les masses). La photo s’est substituée à la peinture grâce à sa possibilité infinie de reproduire le réel. Jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, en effet, l’art pictural tentait de dire la réalité ; avec les innovations technologiques, la photo a poussé la peinture vers l’abstraction, les « installations »et des expériences souvent hasardeuses. La photo est désormais le moyen de reproduire, à l’exception de la musique, les autres arts : elle « montre » un tableau, une statue, une architecture, un mouvement de danse. Elle remplace les esthétiques anciennes et trouve, avec la vidéo, une place de plus en plus grande dans les musées et les expositions contemporaines.

 

 

         S’il lui arrive d’être une création originelle  -on en doute, cependant, car le photographe doit passer par la médiation d’un appareil et d’une technique sophistiqués -(2), la photographie peut accéder au statut d’expression artistique, grâce, par exemple, aux portraits de Gisèle Freund, aux scènes populaires de Boulat ou Doisneau, ou aux visions panoramiques à lectures multiples d’Andreas Gursky (3), mais par sa vocation à être reproduite de façon massive –par la presse, spécialisée ou non, dans un livre, un album, etc. ), elle  perd cette magie, ce sentiment du sacré, ce pouvoir de suggestion que possède l’œuvre unique. En effet, cette notion d’aura, explicitée par le philosophe Walter Benjamin  ne se révèle que dans la vision rare d’une œuvre d’art. Ainsi, l’image d’un saint ou la statue de la Vierge, qu’on ne donne à voir, qu’on ne « sort » , qu’on ne promène qu’une fois par an, dans un village, ou un quartier, à l’occasion de la fête patronale, contient la puissance magique de l’aura. Le public curieux et le croyant devront attendre douze mois avant la réapparition quelque peu miraculeuse et fantasmagorique de l’icône peinte ou de la représentation statuaire. 

 

 

         A l’opposé de ce rituel ou de la visite à un artiste, dans un musée, ou à l’occasion d’une rétrospective rare, manifestations populaires qu créent l’événement, le photo-journalisme travaille dans le quotidien. Les reporters, disséminés dans le monde, doivent enregistrer le réel, certes souvent exceptionnel et défiant l’imagination, à cause de son aspect de violence ou de catastrophe ; ils sont à l’affût d’un événement fort( guerre, meurtre, misère) destiné à une agence de presse, ou d’une célébrité de la « société du spectacle », tels ces paparazzi chassant et pourchassant Lady D, de la sortie de son hôtel jusqu’au pont de l’Alma, le mal-nommé,  où elle rendit, littéralement, son âme, en voulant éviter l’image compromettante, alors que, souvent, elle a rendu cette même âme au diable, quand elle désirait que la presse people parlât d’elle en la montrant, puisque n’existe vraiment que celui qui est présent dans le monde des images et des médias…

 

Le photo-journaliste fait son métier de témoin : il  assure sa subsistance en montrant le cliché inédit d’une star, ou l’image de la mort en direct ( la jeune Omayra disparaissant dans la vase, le petit palestinien tué près de son père, etc..). Ces images sont des fac simile de la réalité, mais ne sont pas beauté (4) ; elles sont la vérité (sauf quand il y a truquage et mise en scène), mais sont-elles synonyme de moralité, quand il y a exploitation mercantile du cliché, grossissement d’un  fait divers occultant l’actualité, ou atteinte morale à la mémoire d’un individu  ( lors de l’assassinat du préfet Erignac, par exemple) ?

 

 

Dans cette profusion d’images et son succès de scandale, souvent ( en témoignent le lancement de nombreuses publications illustrées et la réussite du mensuel Le Monde 2), la photo n’est plus que « cliché », c’est-à-dire « topos » éculé, lieu commun, stéréotype, photocopie du quotidien, qui se répète sans cesse, dans une actualité, hélas, largement tragique. Lassitude du spectateur à l’égard de cette noire actualité : il sait qu’au lieu de témoigner, il faudrait résoudre les vraies raisons de la guerre, de la misère ou des catastrophes sociales et humaines de la planète ! Or, les maîtres du monde, financiers, politiques, militaires ou marchands de canon et de mines anti-personnelles, préfèrent que le monde aille comme il va, c’est-à-dire, mal : ils s’accommodent de la liberté d’expression (« le poids des mots »), de monstration (« le choc des photos »), même si, bien sûr, les cas de censure ne sont pas rares, dans le Tiers-Monde, en particulier, pourvu que la marche du monde assure leurs revenus et flattent leur image de marque…Il est regrettable que des artistes, des intellectuels et… des photographes soient complices des puissants et de leur cynisme ! L’actualité médiatique est redondante et le spectateur est lassé du petit théâtre du monde et de la cérémonie rituelle du journal de vingt-heures !

 

 

De même, à Perpignan, Visa pour l’image, qui ressasse et nous ressert chaque année, à la « rentrée » de septembre, cette soupe saturée d’images,          -comme quand on dit qu’il y a des « yeux dans le bouillon »-, et le public ne parle que de cette lassitude : on ne nous montre que l’horreur, que ce qui va mal dans le monde : les crimes, les pollutions, les catastrophes !

 

Bien sûr, il s’agit de dénoncer ; cependant, si cet engagement est systématique et inséré dans un « festival » conçu à Paris par le roi du choc des photos, si cette manifestation, programmée dans le rythme festif de la politique culturelle de la ville, avec effets d’annonce, promotions commerciales, ré-appropriations politiciennes, objets de tension comme on l’a constaté l’année dernière, entre la mairie et le conseil général, alors le spectateur est saturé ; il en vient à demander des images de bonheur, à exiger que l’on cause un peu de notre belle région, de ce qui se fait ici, en matière d’innovation, de création, d’élans solidaires…(oui, oui, on peut trouver, en cherchant bien !).

 

 

La photo, qui ne représente plus que la grisaille des choses, qu’un monde manichéen en noir et blanc, et ne montrant que les visages de la mort, annonce son propre décès, d’abord de façon symbolique, en raison de la désaffection croissante des citoyens d’ici. Le photo-journalisme part de sa belle mort car il est photo de la mort. Visa pour l’image, c’est Viva la muerte ! Ce spectacle « clés en mains » se meurt, dans nos têtes et au cœur de notre enthousiasme, même si les partenaires privés et institutionnels persistent et signent, car le bruit médiatique est tumulte. En s’entêtant à montrer largement les images macabres, cet événement sur l’événement, cette manifestation officielle pour invités et accrédités, qui se nourrit des insanités qu’elle jette sur grand écran, dans l’espace morbide du cimetière du Campo Santo, n’est que la chronique de la mort annoncée de la photo immobile.

 

 

 L’image de Visa se meurt, la photo, jaunie, de Leroy est morte : vive l’art de la photo !

 

 

                                                                 Jean-Pierre Bonnel

 

 

 

(1)   L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée (1936)- réédition au livre de poche – 2001 –

 

(2)   « L’acte du photographe réglant l’objectif ne crée pas davantage une œuvre d’art que celui du chef d’orchestre dirigeant une symphonie. Ces actes représentent tout au plus des performances artistiques. » W.Benjamin- L’œuvre d’art- Edit.Gallimard-NRF-1991-p.153-

 

(3)   Exposition au Palacio Velazquez de Madrid, jusqu’au 23 septembre- 00-34-91-573-62-45-fermé le mardi- cf. Le Monde du 12/7/2001- article de Michel Guerrin –

 

(4)    « Je ne veux pas montrer du photo-journalisme brut mais des auteurs, des photos esthétiquement belles. Je ne fais pas de politique et en même temps, je montre des photos de jeunes drogués, de solitude ou de mélancolie. Je n’ai pas l’impression de faire un cadeau au régime iranien. Il me semble plus fort de traduire une violence sans montrer du sang » M.Krifa, commissaire de l’exposition « Regards persans, Iran, une révolution photographique » - Espace EDF- Paris- 7ème- cf.Le Monde  du 12 juillet 2001 -