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Claude Massé par
Didier Manyach
Tous
les points constituent la Figure…Chaque personnage entraîne la construction
d’un autre, chaque collage implique une nouvelle description : tous sont
liés et tous sont autonomes. Les gestes dansent mais parfois écorchent le
corps : certains sont comme une spirale qui s’enroule jusqu’au visage
dont l’expression parfois s’ouvre sur une absence intérieure, qui n’est
pas définitive. Nous sommes tous des provisoires ! sans cesse il s’agit
d’avancer, creuser la terre, les yeux, faire pousser le liège dans la bouche,
rendre à l’être sa forme en mouvement, happé par la conscience. Je vois une
tentative d’accéder à l’art du roman, à sa danse primitive, au secret de
l’air et du sol qui permet aux lèvres de parler et aux mains de retenir
l’instant, la grâce d’une note conjuguée aux paysages qui cernent, comme
une aura, la nature humaine… Les
mots ont souffert et d’autres représentations nous parlent de l’enfance de
l’art : la multiplication, à partir de rencontres, de l’image d’un
pays ; la matière est amour, sa prolifération ressemble au bois qui
flotte sur les rivières, aux objets errants dans la forêt qui brûle, aux
pierres des talus, à l’ocre lumière de la terre sèche. Passants : la
présence est l’œuvre de chacun, d’abord arrachée au crépuscule puis
sereine lorsque sont trouvés le lieu et la formule. Nulle crispation mais la
marche de centaines de figures déposes dans les chapelles, au fond
des puits, sur le bord de la route, dans le ciment des villes et au
centre des regards. L’important étant le récit c’est à dire la multitude,
la vitesse du réel et de ses personnages qui hantent la mémoire. Mais ici,
plus encore que dans les mots, le visible est interrogé par les formes sans
limites : les visages se répondent et questionnent le monde des analogies
et des métamorphoses, les personnages sont du liège, des collages et ils
tissent la grammaire sans fin d’une histoire nouvelle et très ancienne à la
fois. Comme ces murs et ces pierres que l’on retrouve au hasard des chemins,
comme ces regards qui ont intégré la face humaine mais qui proviennent
cependant des étoiles. Etrange :
il m’a semblé parfois entendre, dans la demeure de Claude Massé, la musique
d’un temps suspendu, comme les rayons du soleil sur le visage de l’espèce,
lisse, simple et pure mais aussi tragique, comme le sombre déroulement des énigmes :
la vague qui s’élève derrière l’apparence, s’enroule puis ruisselle sur
le sable, le vent dans les vignes comme un présage, devenu un blason sur le
corps de l’enfance de la terre, des personnes quasi anthropomorphiques, dont
les noms et les dates se déplacent cependant, malgré elles, dans la lumière
de l’origine…Il n’y aura pas d’inventaire mais en ce millénaire seules
les œuvres que l’on retrouve ainsi surgies des paroles englouties, traces et
fractures, empreintes et blessures continentales et ontologiques pourront
justement nous parler : arrachées puis apaisées, car retournées à la
langue commune, elles offrent aussi à la beauté le désir d’une vie sans
limites, raturant la mort d’une société déjà virtuelle. Ce travail, dés
l’aube frémissante, ne pourra se conclure : il rejoint l’espace où
circulent ces formes étranges mais familières, venues du sol, du quotidien
raclé jusqu’à l’os, de la solitude des éléments, du soleil, de son
argile et de la nuit des arbres gardée par les figures tutélaires aux yeux de
papier et de métal, aux bras d’écorces et de cendres. |