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Voyage à travers les musées (1) Au pays basque : le musée Gouggenheim de Bilbao ou l’actualité de la peinture : Matisse, Rubens, Kandinsky, Manolo Valdés… ----Bilbao
est une grise coulée urbaine qui étend ses constructions
et industries portuaires le long d’un estuaire interminable. Les
inscriptions murales omniprésentes rappellent que le pays, ici,
se dit « Euskadi » et qu’il revendique l’indépendance
: face aux cris de l’ETA ou de Batasuna, les policiers espagnols
ont bien le droit d’être à l’étroit dans
leurs petites Seat blindées et d’être crispés,
la mitraillette au poing, sur le seuil de leur poste, dans les quartiers
chauds de « Bilbo »… Le temps de cette fin d’octobre
est très doux : il fait vingt-neuf degrés à vingt
heures, et la foule en bras de chemise dominicale se promène sur
les quais ; elle attend la nuit noire pour se plonger dans les innombrables
bars à tapas de la vieille ville ou de la Plaza nueva aux arcades
bruyantes. Les restaurants en terrasse affichent des cartes gastronomiques
témoignant de la proximité de l’océan : morues
à la biscayenne et paëlla de moriscos constituent les fruits
de la mer les plus prisés. |
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Les hommes assis
autour de « calamares a la plancha » commentent une riche
actualité politique : la tuerie à l’opéra de
Moscou, l’anniversaire de la prise du pouvoir à Madrid par
le PSOE de Felipe Gonzalez, l’élection de « Lula »
Da Silva, candidat du Parti des Travailleurs, au Brésil, et l’interview
de Mikel Buesa, économiste basque et frère du socialiste
Fernando Buesa, assassiné par l’ETA, il y a deux ans ; il
déclare au quotidien « ABC » : « L’indépendance
d’Euskadi passe par son renoncement à l’Europe et à
son bien-être. » Il est intéressant de mettre en relation
l’entretien du dirigeant nationaliste catalan Artur Mas (Convergencia
i Unitat) publié dans le journal « El Mundo » : il
réclame un nouveau statut pour la Catalogne, reconnaissant les
« droits historiques » des Catalans et, entre autres, un système
de financement aussi autonome que celui du Pays Basque : une sorte d’indépendance,
mais dans le cadre légal de la constitution espagnole… |
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Cependant, quand on vient à Bilbao, depuis le nord de l’Europe, ou du sud de la France, en empruntant les antiques chemins de Compostelle ou les autopistes plus prestes, ce n’est pas pour parler de météo, ni de politique ou de pêche hauturière ! Non, on vient à Bilbao pour le musée Gouggenheim, pour ce temple récent –1989- de la peinture, pour cette architecture qui ne laisse personne indifférent : l’architecte canadien Frank O. Gerhy a installé, dans un espace industriel de la rive gauche du fleuve Nervion, une colossale sculpture de titane, de verre et de fer ; l’assemblage en volutes de ces matériaux suggère la silhouette d’un animal préhistorique, mais, en fait, il confère toute son harmonie à ce paysage, qui mêle bassins portuaires, pont légèrement elliptique, avec vue sur l’église gothique de Saint-Antoine ou sur le marché de La Ribera, et eau du Nervion, reflétant des alignements d’immeubles modernes ou d’anciennes bâtisses baroques faisant, désormais, « zone » à la Guillaume Apollinaire.
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A
l’intérieur du musée, le visiteur est frappé
par l’espace libre: l’atrium central, d’une hauteur
de plus de 50 mètres, distribue les volumes, les salles d’exposition,
et le regard se perd dans les plafonds, les passerelles ou les dix-neuf
galeries organisées sur trois niveaux. Consacrée à
l’art du XXème siècle, la Fondation Solomon R.Gouggenheim
présente des expositions venues des différents musées
Gouggenheim ; à ces rotations s’ajoutent des installations
temporaires. Ainsi, est-il permis de voir en ce moment, jusqu’en
février 2003, la peinture et la sculpture de Manolo Valdes, «
Rubens et son temps : trésors du musée de l’Ermitage
», Kandinski dans son contexte et quelques toiles de Matisse ; en
effet, le musée présente Intérieur avec fougère
noire qui, en 948, rompt avec la perspective des couleurs et constitue
une des dernières œuvres de Matisse avant qu’il n’abandonne
le pinceau pour les papiers colorés et les ciseaux. L’exposition
Kandinsky est beaucoup plus roborative : plus de 90 œuvres évoluant
vers une approche non-objective de l’art permettent d’analyser
la relation existant entre l’acte créatif de l’artiste
né à Moscou en 1866 et celui de ses contemporains : Vassily
K. abandonne la représentation dès les années 20
et incorpore à la toile des formes organiques, redevables à
la géométrie amorphe des surréalistes. La «
monstration » de « Rubens et son temps » est une occasion
unique de contempler un des joyaux du Musée National de l’Ermitage
de Saint-Pétersbourg : sa collection de peinture, d’art décoratif
et de dessins flamants du XVIIème siècle. Les collections
de Catherine la Grande, Impératrice de Russie permettent de prendre
aujourd’hui conscience de l’importance de Rubens, célébrée
à juste titre par le romancier Philippe Muray (« La gloire
de Rubens »-Grasset-1991) : l’implication de Peter-Paul R.
dans toutes les formes d’expression artistique est ici mise au grand
jour ! |
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En effet, la cerise, sur le gâteau gouggenheimesque, qui est proposée in fine -car une visite au musée se finit par le haut, n’est-ce pas ?-, s’appelle Manolo Valdés. Cet artiste a commencé sa carrière au sein de « Equipo Cronica », manifestation pop, parmi les plus importantes de l’Espagne franquiste, fondée sur le détournement de nombreux éléments de l’histoire de l’art. L’œuvre présentée a été réalisée à partir de 1990 à New York, dans un studio de la 16ème rue ; après les événements du 11 septembre, les propos de M.Valdés prennent tout leur poids : « C’est ici que j’ai trouvé un espace à moi et que je survis. Le jour où je partirai, un autre pareil que moi arrivera et prendra ma place. Cette ville ne souffre du départ de personne. » Les sculptures en bois, les femmes assises, les natures mortes, les Baigneuses, les énormes visages de toile, font référence à Léger, Matisse et Picasso ; les Ménines et la Reine Mariana sont d’évidentes références à Vélazquez : grand connaisseur de l’histoire de l’art et compilateur d’informations, Valdés se rapproche de l’historien de l’art : sa construction évoque ces trains de bois flottant des Pyrénées qu’il s’agit de composer et de rendre concrètes les histoires déjà peintes, comme l’écrit Kosme de Barañano, commissaire de l’exposition. Valdés est en pleine actualité de la peinture : à l’instant où le Grand Palais, à Paris, narre « l’amitié rivale » de Matisse et Picasso, Manolo V., à partir de la petite huile de Biarritz des années 20 (« Picasso comme prétexte »), trois figures, trois visages, trois « rostros », (« Matisse comme prétexte ») confronte Pablo et Henri : Valdés fait le lien entre les deux géants du XXème siècle et, de leurs œuvres en perpétuelle émulation, il crée une synthèse qui l’aide à inventer sa propre peinture. Le visiteur était parti du Matisse du rez-de-chaussée ; il aboutit au Matisse détourné de la tour du musée : la boucle et la visite sont bouclées et l’art du XXIème siècle peut s’initier. Le visiteur porte un dernier regard vers la ville, vue de l’intérieur de l’espace muséal : elle est captée à travers grilles, ferrailles, architecture de verre et de fer, à la Eiffel ; les maisons de Bilbao, aperçues depuis les combles du musée ont des ondulations à la Soutine…La ville semble métallique, mais dès que le touriste sort à l’air libre, la ville paraît bleue, du bleu de Matisse qui transfigure la nuit de pleine lune du ciel de Bilbao…
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