Femmes de Catalogne

 

A l’occasion d’un concert de la chanteuse catalane, en faveur de la cause des enfants, et de « l’hommage » -elle n’aime pas ce mot- qui lui sera rendu, par Jordi Barre, Albert Bueno, et bien d’autres…*, Teresa retrace son riche  itinéraire : la guerre, la Résistance, la chanson, le livre de souvenirs, la peinture…

 

 

                        Rencontre avec   Teresa REBULL

 

            Dans son appartement-atelier, sous les toits de Cap Doune, qui domine l’anse majestueuse de Banyuls de la Marenda, elle vit dans sa ville d’adoption. A deux vagues de la mer, dans le prolongement de la rue Saint Pierre ; à deux marches de la maison familiale d’Aristide Maillol, le fameux sculpteur, à deux pas de la « villa rose » à la végétation exotique et au figuier exubérant. Le modèle du sculpteur, Dina Vierny, elle l’a rencontrée pendant la guerre et la Résistance ; celle-ci travaillait à Marseille pour le « comité Fry », organisation de secours pour intellectuels antifascistes :

            « J’étais à Marseille, en 1941, où j’ai connu Dina ; nous nous rencontrions chez des amis comme Jean Malaquais et Pierre Hervar, qui avaient été les secrétaires d’André Gide. Nous habitions «  Le petit Val » ; j’ai fréquenté, avant le quartier de La Parette,  la villa Air-Bel, fréquentée par des artistes résistants, des surréalistes comme Max Ernst, André Breton, Benjamin Péret, André Masson, qui émigreront peu après en Amérique. A cette époque, elle était résistante ; nous nous sommes connues dans une situation tumultueuse ; elle m’a, un jour, acheté un tissu pour que je me fasse une robe…Pour que je me fasse belle, me disait-elle ; elle était généreuse ! Ensuite, on s’est perdues de vue… »

            Teresa Rebull, la chanteuse catalane à la si belle voix grave et ferme, au parler franc et sans concession, l’artiste populaire « grand prix du disque Charles Cros », est toujours restée résistante. La résistance, chez elle, est une affaire de génétique. Et de fidélité, à son idéal d’égalité, de justice, de fraternité, au sein d’une communauté syndicaliste. Elle insiste bien et choisit les mots avec précision : « Syndicalisme », et pas « anarchisme » ou « esprit libertaire » : en effet, « les libertaires, ce sont aussi de grands seigneurs ; ils ne se mouillent pas ; les syndicalistes, eux, menaient des grèves dures et manifestaient ; il y a de grands bourgeois qui se disent libertaires.. ! Pour moi être libertaire, c’est une éthique du comportement. C’est avoir le respect des autres, avoir la liberté de s’exprimer ; le mot LIBERTAIRE est un mot POETIQUE ! C’est utopique ? Non, ça peut servir d’attitude d’action dans l’instant, du côté individuel ; oui, c’est une forme d’éthique… Si tout le monde avait ce comportement… »

  L’utopie, chez elle, est une raison de vivre ; une lutte perpétuelle… Son livre récent, Tot Cantant, raconte son initiation à la chanson : il explique les raisons pour lesquelles, elle est venue à la chanson. Dans ce parcours, elle explique son enfance, jusqu’à la République espagnole, et son adolescence -elle vient en France en 1939, à dix-huit ans-, pendant lesquelles les combats furent porteurs d’enseignement : « Ils m’ont formée ! » Ce livre facile d’accès, sans fioriture ni littérature, presque « oral », fait le bilan d’une vie : « Il s’agit d’abord de résister, résister à la bêtise, et à la société de consommation : on est tous des autruches ! Résister à ce libéralisme et à ce mondialisme qui nous enchaînent subrepticement…Il faut aussi se battre contre l’ignorance, c’est essentiel ! Dans ces « Mémoires », j’explique pourquoi je suis venue à la chanson ; le livre débute alors que je n’ai que trois ans et demi. »

            Teresa vient d’écrire un long témoignage personnel ; il s’agit d’une contribution subjective et passionnée à l’Histoire de ce siècle passé, qu’elle a traversé, depuis l’année de sa naissance, 1919. Litanie des grands événements, qui ont marqué la vie des réfugiés de Catalogne et d’Ibérie : la République espagnole, la guerre civile, la montée du fascisme, la chute de Barcelone, l’exode, l’exil en Catalogne Nord, l’intégration, la montée du nazisme, la guerre, la Résistance…« La guerre d’Espagne, provoquée par le franquisme, c’était l’étouffement de la Révolution : la France, elle aussi, et l’Europe, il me semble, ont voulu mater la Révolution. »

            A la Libération, la France est républicaine, mais l’Espagne demeure franquiste. Pour les Espagnols, déchirés entre deux patries, pour les Républicains nostalgiques de 36, pour les Catalans, fracturés deux fois, dans leur mémoire nationale et dans leur langue, ce n’est qu’une demi-victoire. Alors débute le combat pour la démocratie espagnole et la reconnaissance de la langue catalane : des deux côtés de la frontière, il s’agit de résister encore, de militer, de manifester contre l’oppression. Et de chanter, surtout, en catalan, bien sûr, pour les grands, et, comme en témoignent plusieurs disques, pour les enfants… « En Catalogne, il y avait beaucoup   d’effervescence, avant 1931. J’ai vécu toute l’évolution des idées.  Je ne voudrais pas passer pour une victime, mais, un jour,  il faudra rétablir toutes les vérités historiques ; il faudrait  secouer les habitudes, sinon on construit avec des rustines, on monte une culture sur des ruines. Il existe, dans mon travail,  une grande continuité : un combat pour la liberté. »

            Tot Cantant est-il surtout  un témoignage de femme ?

            « Evidemment ! Il a fallu se battre avec le machisme intérieur, familial. La femme avait une double responsabilité : le travail à la maison et le combat politique. Il faut défendre les mouvements des femmes, qui luttent pour leur émancipation ! Il faut se battre aussi contre la pensée unique, pour la culture. Avoir l’esprit ouvert… Aujourd’hui, nous sommes dans une sorte de décadence, et l’argent de la culture est un rideau de fumée. La culture est menacée par l’aspect mercantile de la société actuelle. La société de consommation peut devenir une forme de fascisme, c’est-à-dire de l’indifférence, une absence d’indignation, avec une réelle angoisse ! Nous sommes dans une société d’esclaves nouveaux, d’un nouveau type. On nous montre une catastrophe, un désastre, puis des bijoux, un spectacle de mode, puis une guerre, et enfin des créations artistiques, ou  des manifestations du luxe…C’est surréaliste !!!

Oui, la chanson fut un moment essentiel de ma vie : on a chanté face aux urgences de la société ; lutte contre l’enchaînement de la langue catalane, contre le régime dictatorial. A présent, j’aime aussi chanter les bons poètes, car c’est une arme positive pour la culture. Je suis plutôt vouée à ça, à présent ; si je devais chanter et enregistrer à nouveau, je célèbrerais les grands poètes ! Continuer à faire passer des messages ? J’orienterais plutôt le combat actuel contre la mondialisation capitaliste, et cette société de consommation, qui dépasse les limites ! Mais nous sommes peut-être responsables : nous aimons consommer…Je m’aperçois que je rêve ! Je rêve et, en fin de compte, c’est ça que les gens aiment en moi ! On chante pour donner un peu d’espoir, de joie, pour communiquer ; c’est comme la peinture… »

 Oui, abordons ce sujet, la passion présente de Teresa : « Sans être de grands maîtres –je connais mes limites-, la peinture peut servir, être un moyen de communication, car tout le monde n’est pas obligé d’aimer la même chose ! Je me situe comme une élève, comme un apprenti, toujours ! Mon peintre préféré, c’est Cézanne : il est indestructible ! Ce qui m’intéresse, c’est le lumière. Dire des choses engagées, avec la peinture, c’est difficile, mais faire les choses avec honnêteté, c’est déjà un engagement. Maintenant, on fait surtout des copies, des toiles destinées à être vendues aux touristes, sur les trottoirs…Mes derniers tableaux s’intitulent « Tendresses », corps de couples, de femmes, d’êtres aimants…, que j’oppose au désastre général du monde et à la tragique situation des enfants. Je les ai montrés à Saint-André, en novembre dernier. «Tendresses », oui, c’est un peu « romantique », mais il faut l’être, de temps en temps… »

 

 

                                                                                                Jean-Pierre Bonnel

 

 

·         A la salle des fêtes de Saint-André, le 2 mars 2002, à 21 h. En outre, Teresa Rebull exposera, durant le mois de mars,  ses dernières toiles «  Tendresses » au Cap de Fouste (près de Villeneuve de La Raho)-

 

 

 

           

Un texte inédit

La peinture, selon Teresa Rebull

 

« La peinture n’est pas pour voir la représentation de ce que l’on voit. Elle existe  pour nous faire voir et sentir ce qui n’est pas exactement représenté, nous faire voir autre chose. L’invisible. Paul Cézanne disait : « Voir Dieu. » Elle est aussi une allégresse, une sensation, un rayon de soleil ou d’amour, dans nos esprits et dans nos cœurs. Elle est là pour faire rêver, provoquer et déranger la monotonie et l’ennui des habitudes. Elle est la porte ouverte à la liberté et à la tolérance.

C’est sur ce point qu’il faudrait que toute sorte d’expression mérite le même égard, le même respect, pour ne pas l’enfermer dans un ghetto. La peinture, en fin de compte, moderne, classique, avant-gardiste, etc…doit être d’abord une bonne peinture ; et pour dire si elle est bonne ou mauvaise, les critères abondent (et ils manquent, aussi ?), et parfois, ils nous embrouillent.

La création dans la peinture est une jeune folle innocente. Avec un grain de folie, on peut faire pousser de belles plantes ; avec l’innocence, la fraîcheur et l’étonnement, l’enchantement ou le rêve, l’évasion, l’interrogation.

Peindre, ce n’est pas gratuit : c’est une motivation profonde, presque religieuse ; mystique ? C’est aussi une forte sensibilité pour la vie, l’amour de tout ce qui environne l’homme.