La  fresque monumentale du peintre Raymond Moretti, intitulée « L’Alphabet » a été créée en 1979, à Paris, et installée au Forum des Halles. L’œuvre monumentale, après un déplacement périlleux à travers la France et un long et minutieux travail de rénovation, se trouve désormais devant le musée de la préhistoire, à Tautavel. Le vernissage, en présence de l’artiste,  aura lieu le 11 juillet 2002.

 

L’ALPHABET de Raymond Moretti :

 du « Mur du Forum des Halles », à la fresque de Tautavel :

-         de la genèse de l’univers à la jeunesse du monde –

 

Elle raconte l’histoire du monde, l’épopée humaine, la légende des millénaires, l’aventure de l’art et de l’écriture…

                       

            « Le mur du Forum des Halles » est, à l’origine, une œuvre de 46 mètres de long et 4,50 mètres de haut ; il s’agit d’une peinture à l’huile, commandée par la ville de Paris, réalisée en quatre-vingt-dix nuits, et inaugurée par Jacques Chirac en septembre 1979. Comme l’écrit Yves Courrière, biographe de R.Moretti, elle évoque « l’évolution de l’homme et de son génie, des signes protosumériens à la naissance de l’alphabet, de l’homme de Tautavel à Victor Hugo, Maurice Ravel et Louis Amstrong. » A l’époque, la chorégraphe Carolyn Carlson, danseuse étoile à l’Opéra de Paris, née en Californie dans une famille finlandaise, a voulu rendre hommage à cette création artistique, en évoluant de façon improvisée devant elle, en direct dans le journal télévisé de treize heures.

 

«  Le mur » est baptisé « l’Alphabet » en 2002 car elle a l’ambition de retracer l’Histoire de l’homme et de l’univers. Et la fresque quitte Paris pour Tautavel ! En effet, située au Forum des Halles, dans un sous-sol qui ne permettait pas une mise en valeur de l’œuvre, sur les murs du cinéma Gaumont, elle n’a plus, dans cet espace commercial qui se restructure, sa raison d’être : elle passe inaperçue, elle est incomprise, elle souffre d’enfermement et du manque de lumière ! On décide donc de déplacer l’œuvre dans un lieu plus adéquat et prestigieux. Pourquoi choisit-on Tautavel, village perdu des Corbières, dans une province si reculée, si loin de la capitale ? Parce que « l’Alphabet » s’ouvre sur une impressionnante mise en scène de l’Homme de Tautavel ! Parce que R.Moretti a des relations amicales avec Henri de Lumley, spécialiste de la préhistoire, Directeur du Muséum d’histoire naturelle et du Centre de recherches préhistoriques de Tautavel ! Ainsi, le choix est affirmé : la fresque morettienne passe de la nuit du forum et de l’indifférence des halles, au plein soleil du midi catalanoccitan…

 

C’est ainsi qu’elle est déplacée et transférée, début 2002, à proximité du musée. Après avoir été découpée, telle une énorme mosaïque, en morceaux de 1,80 mètres sur 2 m, elle est emballée, manutentionnée et stockée par des spécialistes dirigées par le célèbre peintre-restaurateur Michel Bourdon. L’opération est délicate : il ne faut pas endommager les différents cadres de cette énorme « bande dessinée », mi-figurative et mi-abstraite, durant la traversée de la France, en gros camions, et réinstaller l’ensemble, en soignant les jointures et en le protégeant des intempéries : d’abord, grâce à une belle bâche bleue, digne des « emballages » à la Christo, puis par un scientifique pelliculage.

 

Afin de reconstituer la fresque à l’identique, le travail, supervisé par M.Bourdon, durera plusieurs mois, durant l’hiver et le printemps 2002, pour donner naissance à une œuvre lumineuse, « reliftée » et mise en valeur sur les hauteurs du désormais célèbre village de Tautavel. Les habitants, les touristes et les spécialistes sont invités au vernissage du 11 juillet 2002, pour admirer l’œuvre et constater qu’après un long exil et un voyage périlleux,  l’Homme de Tautavel  revient chez lui : symboliquement, grâce à la représentation picturale de Raymond Moretti, et physiquement, puisque son crâne précieux, conservé depuis plusieurs années à Marseille, est maintenant protégé par les puissants coffre-forts tautavellois.. ! De la caverne grouillante du forum des Halles, de la grotte parisienne aménagée pour la distraction futile et mercantile, à la caune de l’Arago et au chemin de croix soleilleux du musée préhistorique, l’homme s’est initié à la vie des hommes : Rastignac guéri de sa fatuité et de sa vanité, il réintègre le sol natal et la terre rouge des Corbières ; certes, la boucle est bouclée, mais dieu, que l’espérance fut violente et patiente…

 

Tous les visiteurs de passage, jettent, depuis des semaines, un œil frauduleux sur la fresque en cours de montage et de restauration, depuis les étranges échafaudages ou les entrailles de ferraille et de béton, parmi les ouvriers affairés et quelque peu agacés par la curiosité des visiteurs dépourvus d’invitation ; cependant, ils n’étaient pas tout à fait clandestins, puisque « l’Alphabet » est une œuvre de plein air, non faite pour l’enfermement muséal et le respect que vous confère le prix du billet d’entrée…

 

Tous, villageois ou touristes, érudits ou néophytes, s’interrogeaient sur la signification des différents éléments picturaux de la gigantesque œuvre horizontale…La raison, l’explication : il faut toujours comprendre et analyser, souvent au lieu d’apprécier et de se laisser bercer par le rythme de la toile de la pierre, par les couleurs diaprées, par l’écriture originale de l’artiste…Interpréter ! Oui, interprétons, il en restera toujours quelque chose ! Pour certains, du village, cette chose n’est qu’un « tag », qui défigure les lieux et la colline de Tautavel ; ou simplement, cette « fresque », c’est, pour un catalan plein d’humour, un abri pour se mettre « al fresc », les jours de canicule…

 

Mais qu’est-ce qu’il a voulu réellement dire, le Raymond.. ?

 

La fresque serait composée en séquences ; la première, illustrant les origines, la Genèse, montre des feuilles représentant le monde végétal et un magnifique rhinocéros à deux cornes, résumé de toute la faune préhistorique ; l’imposant crâne noir de l’homme de Tautavel symbolise la présence de l’homme préhistorique sur la Terre ; ensuite un creux fait apparaître le feu; la seconde séquence concernerait l’arrivée du paléolithique supérieur et l’expression de l’homme dans tous les domaines de la création et de la communication : ce sont « les temps modernes », avec quelques figures célèbres représentant la culture, la créativité, dans les cinq continents. Les visages sont esquissés ou dessinés à différentes échelles : on discerne un cheval, puis des portraits, des têtes qui se suivent et se mêlent : celles de V.Hugo, Maurice Ravel, Marx et Louis Amstrong ; il s’agit là de l’espace de l’écriture. Au-dessus, c’est un étage abstrait, se situant au-delà de l’écriture et composé des symboles, des signes, des éléments abstraits. La fresque comporte aussi des éléments en saillie : il faut noter que toute la partie supérieure de l’œuvre –un mètre dans le plafond !- n’a jamais été vue ; à Tautavel, c’est donc une création inédite, qui est donnée à voir.

Sous forme symbolique, d’images fortement colorées et éclatées, cette peinture dynamique, « en marche », « en mouvement », traduit l’histoire du monde, de ses origines à nos jours. Fresque murale, à la manière des grands peintres mexicains, tels que Ribera ou Orozco, c’est une sorte de « codex », de récit dessiné sans paroles ni solutions de continuité, racontant l’évolution de l’homme, depuis la préhistoire jusqu’aux temps modernes, ainsi que l’avancée inéluctable du temps vers l’infini ou la fin du monde et la fin de l’Histoire des hommes…

De nombreux éléments picturaux sont figuratifs, comme les lettrines stylisées de notre abécédaire, ou les visages et les figures connus, le reste du monde culturel ou scientifique se résumant en une flèche, qui se tend vers une cible de lettres et de consonnes ; celles-ci se superposent et forment un calligramme, au-dessus duquel apparaît un corps dénudée de femme : cette apparition est destinée à nous conforter dans l’adage poétique de Louis Aragon :  la femme est bien l’avenir de l’homme.. !

Cette histoire du monde est donnée à voir dans sa fulgurance : l’œil du spectateur ou du visiteur, dans l’avenue qui mène au musée, appréhende, en un résumé expressionniste et saisissant, la fabuleuse épopée de ses ancêtres antédiluviens et de ses aïeux insoupçonnés… Le chiffre incommensurable du temps s’affiche sur un support de quatre mètres de hauteur qui s’étend sur près de quarante mètres de longueur. Un gigantesque masque de bronze, reproduisant l’Homme de Tautavel, marque le point de départ de cette « Histoire du monde », tandis que l’écriture, les mots, les phrases, en délimitent l’aboutissement.

Pour la première fois, la fresque peut être considérée dans son intégralité et dans toute la successivité de son déroulement : tout le contraire de la situation du forum des Halles ; en outre, on peut constater aisément que l’œuvre est visible de plusieurs kilomètres, quand on arrive à Tautavel ; elle est dirigée vers la Caune de l’Arago, berceau de notre héros, tout comme les principales ouvertures des maisons construites depuis la découverte du fameux crâne, sans lequel Tautavel ne serait ce qu’il est aujourd’hui…

Petits hommes, anonymes mortels, vous voici au pied du panneau horizontal, quelque peu dépaysé, dans ce bain bleu, où voguent des lettres rimbaldiennes et une beauté de femme oblique : au bout du panneau, c’est l’inconnu, la mort…Prenons garde à ne pas tomber dans ce noir, car c’est à chacun de nous de poursuivre l’œuvre et l’aventure de la vie ! En effet, il s’agit d’une œuvre ouverte  ; n’attendons pas d’éclaircissement de la part de l’artiste : R. Moretti ne veut pas revenir sur les années de création 1978-79, il n’a rien à dire ; ce qu’il a voulu dire, il l’a dit dans la continuité de son film immobile, et dans l’incessant mouvement de son œuvre massive. Message pérenne, qui doit demeurer dans l’éternité de Tautavel. Saurons-nous le lire, le déchiffrer, en exprimer sa splendeur.. ? Plus simplement, saurons-nous en être dignes.. ?

 

LA FRESQUE de Raymond MORETTI

 

Raymond Moretti a réalisé «Le mur » avec ses amis : l’écrivain Philippe Sollers, l’homme de théâtre Armand Gatti et le journaliste essayiste Marc Paillet.

 

Nous devons les remercier tous, ainsi que le biographe de R.Moretti, Yves Courrière. En outre, ce travail n’aurait pas pu être réalisé sans la collaboration amicale de MM. Henri de Lumley, Jacques Pernaud et Joseph Briu, de Mmes Isabelle Merle des Iles, Anne-Marie Moigne et Marie-Thérèse Ripoll, sans oublier mes élèves de 6ème du Collège Jean Massé, et, en particulier, Guillaume Idée et Pierre Pesquiès, qui ont enquêté sur place, à Tautavel.

 

Mise en texte et en photos : Jean-Pierre Bonnel.

 

 

 

 

 

            Raymond Moretti à Tautavel

 

            L’intime collaboration et la solide amitié qui existent entre l’artiste et Tautavel ne datent pas d’aujourd’hui. En effet, R. Moretti travaille depuis des années avec le musée et le Centre européen de Préhistoire de Tautavel. C’est ainsi qu’il a créé la statue qui se trouve à l’intérieur du musée ; en effet, à l’occasion de l’ouverture du nouveau musée de la préhistoire de Tautavel, en juin 1992, réalise une œuvre, qui orne désormais le centre européren de la Préhistoire.

 

Cette statue représente deux profils emboîtés l’un dans l’autre, celui du crâne de « l’homo erectus » (qui vivait, il y a 450000 ans dans la plaine du Roussillon, et mis en évidence par Henry de Lumley et son équipe), en bronze, et celui de « l’homme moderne », en acier : ces deux faces sont accompagnées du profil de « l’homme debout » -formule rappelant la thématique du poète René Char- d’une taille de 1,65mètre, celle de l’homme de Tautavel ; ce troisième profil est taillé dans le bois : polychromé, il représente le chasseur des temps préhistoriques.

 

Raymond Moretti a aussi réalisé  de nombreux timbres et affiches à l’effigie de l’Homme de Tautavel. Il a aussi beaucoup travaillé avec le musée de Terra Amata, à Nice : d’ailleurs, le début de la fresque « l’Alphabet »,, correspondant à la période antérieure à l’apparition de l’Homme « moderne », et jusqu’à l’Homme de Tautavel, est reproduit devant le musée de Terra Amata.

 

 

* Bibliographie :

Outre les nombreux livres de Henry de Lumley, publiés chez plusieurs éditeurs, dont Odile Jacob, il faut lire :

*Les hommes de Tautavel, de Marcel Coumes et Albert Pla ; il s’agit de la chronique du village de 1790 à aujourd’hui.

*La saga de l’homme, de Jacques Pernaud-Orliac et Aimé Rigaill

 

* Le Centre Européen de Préhistoire :

Animations, visite-guidées- boutique du musée- expositions –

1800000 ans d’histoire de l’Homme –

66720 Tautavel

Pyrénées-orientales - France

04.68.29.07.76.

Fax : 04.68.29.40.09.

 

* Le slogan de Tautavel et du CERP : « 450000ans de vie au soleil »

 

            LES TEMPS DE TAUTAVEL

 

Avec l’homme de Tautavel, on pénètre dans la nuit des temps.

Avec la fresque de Moretti, on parcourt des séquences et des images du temps. Chronologie ramassée, épopée humaine résumée en quarante mètres. Cinématographe en couleurs saisissable en un seul jet de rétine.

 

A rouge de la Préhistoire.

B jaune des temps modernes.

CDEFG …voici l’âge nucléaire.

On passe de la Genèse du monde à la jeunesse de l’Homme.

Œuvres humaines : autant de fragments d’un discours sur le temps

Prenons le temps de visiter la rétrospective du travail de R.Moretti sur la préhistoire dans la salle du Palais des Congrès de Tautavel.

Avec le retour de la fresque à Tautavel, le maire du village, M.Guy ILARY n’a pas perdu son temps. Il fait une opération prestigieuse et historique, qui ne coûte rien à la commune !   En effet, les propriétaires de l’Espace Expansion du forum des Halles, en refaisant le centre commercial, sont obligés par la loi de repositionner l’œuvre de R. Moretti. Le groupe « Expansion » a réglé l’artiste et les frais de déplacement et d’installation de la fresque monumentale. Sans oublier la remise en état : jointures, plâtre cassé, peintures originales, nettoyage car la fresque a été polluée lors de son long séjour dans l’antre des Halles.

 

 

* L’Eté 2002 à Tautavel :

 

La thématique 2002 du Musée de Tautavel s’appelle « Des Arts, des artistes, des hommes » et se structurent autour de personnalités comme Hubert Reeves, Claude Nougaro, Renaud Capucin…

 

Outre les concerts de musique classique, on va encore ausculter le temps passé, cet été, à Tautavel. Et le temps météorologique, les climats, le temps qu’il fait ou qu’il fera. Quatre conférences sont programmées, du 3 au 6 juillet, tous les soirs à 21 heures. Voici le programme :

Le 3 : changements climatiques rapides pendant la dernière glaciation, par E. Bard, professeur au Collège de France.

Le 4 : mythes et réalités des changements climatiques, par le professeur G.Mégie, Directeur du CNRS .

Le 5 :les changements climatiques du Quaternaire, par J.C.Duplessy, Directeur du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, à Gif-sur-Yvette.

Le 6 : paysages et climats en Languedoc-Roussillon depuis un million d’années, par M.H. de Lumley.

 

A noter, le 10, ouverture au grand public, portes ouvertes de 5h à 18h sur le chantier des fouilles de la Caune de l’Arago ; le soir, conférence d’Hubert Reeves sur la naissance de l’univers.

 

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            Témoignages de personnes interrogées au-sujet de l’installation de la fresque murale de R. Moretti à Tautavel

 

·        Une dame de 78 ans, habitant à Tautavel depuis un an : « La fresque me fait penser à Picasso, la tête en bas, les pieds en haut, en l’air ! Ce n’est pas mal, mais je n’y trouve pas une signification quelconque : elle n’évoque rien pour moi, c’est pas du « classique » ! Par contre le musée est très bien ; quant à la grotte elle est trop loin ! J’ai aimé l’idée de recréer les conditions de vie de l’homme et la diversité animale à cette période. »

·        Alain Grieu, conseiller municipal : « La fresque est une chance extrême ! C’est extraordinaire pour un petit village comme Tautavel, puisqu’elle vient des Halles de Paris. C’est une plus-value. Sa signification, c’est l’évolution de l’Homme. Cette installation ne coûtera rien à la commune, c’est une opportunité pour les 850 habitants d’ici ! Les critiques peuvent venir de la peur des détériorations qu’eui, elles, seront à la charge de la commune. Les vandales ne sont pas des personnes intelligentes. Les gens peuvent critiquer la fresque, s’ils ne comprennent pas sa signification : il faut faire de la publicité, informer les gens, expliquer… »

·        Une touriste : « Cette dame a déjà vu la fresque à Paris : Je suis revenue voir « l’Alphabet », ici, à Tautavel : j’ai mieux compris les explications, il s’agit de l’évolution de l’Homme. Bien sûr, il fallait mettre la fresque quelque part, mais c’est dommage, elle cache un peu la montagne ; mais à côté du musée, c’est quand même idéal. C’est sa place à Tautavel, c’est superbe pour le village… »

·        Une habitante de Tautavel, attachée au développement culturel et touristique du village : « La fresque représente tout à fait idéalement l’évolution humaine s’étend très bien dans le prolongement du musée ; elle est essentielle pour notre village : c’est un plus au niveau touristique et pour le patrimoine historique. »

·        Un touriste parisien : « La fresque est magnifique et elle attire beaucoup de monde. A Paris, elle était moins visible, on ne la voyait pas en continuité… »

 

 

 

Enquête réalisée à Tautavel, en avril 2002, par Guillaume Idée et Pierre Pisquiès, élèves de 6ème –option russe- au Collège Jean Massé de Perpignan.

 

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