Avec Jean-Paul Pelras et Gérard Raynal, une nouvelle génération « d’écrivains-paysans » serait-elle en train de surgir, en Roussillon.. ? Ces deux jeunes romanciers, revenus des révoltes agricoles et des feux factices de l’actualité, sont sur la (bonne) voie des anciens : on pense, en les lisant avec délectation, à Michel Maurette de Serralongue, auteur (trop méconnu, encore) de « La Crue », et à Ludovic Massé, natif d’Evol, et désormais considéré comme notre plus grand écrivain d’expression française.

                                         --------  

Portrait de Gérard Raynal

 L’agriculteur de Villeneuve de la Rivière vient de sortir un roman «  L’expiation de Jean ». Il fait rimer, avec bonheur et talent, écriture et agriculture. 

 

            Ce jeune agriculteur, animateur pendant de longues années du C.D.J.A, après bien des luttes, pour des résultats assez décevants, face à l’incompréhension des gouvernements et à la monstrueuse machine européenne de Bruxelles, est désormais un brin désabusé. Voire désespéré. Il continue de travailler la terre, mais se consacre, deux heures par jour, à l’écriture. Il a trouvé dans cet exercice –manuel, aussi, à bien des égards-, et dans cette cohabitation quotidienne avec les mots, un autre combat : non pas dans la vaine logomachie, mais dans la fabrication des fictions. Plus important, il y a trouvé le bonheur ! Il puise dans la patiente confrontation avec les mots un enthousiasme nouveau. Ce n’est pas un professionnel de la plume et il n’a entrepris aucune démarche pour se faire éditer. Il a simplement adhéré à « l’association des auteurs auto édités » et a le projet de créer, dans son village, une sorte de « Festival des auteurs indépendants ». Pour l’instant, Gérard Raynal a trouvé un lectorat fidèle et de proximité : c’est celui de ses amis, de ses voisins, de ses compatriotes de Villeneuve de la Rivière.

            Qu’est-ce qui a bien pu pousser ce paysan, ce « damné de la Terre », à s’atteler à l’écriture ? « Mes motivations ? C’est d’abord l’injustice des livres d’école qui occultent certains événements historiques, comme la pensée des Cathares et les mouvements religieux qui ont traversé l’Occitanie. Cependant, je ne m’intéresse pas à l’ésotérisme, mais à la liberté contenue dans la religion cathare. C’est ainsi que mon ordinateur renferme plusieurs manuscrits sur cette période du 13ème siècle, en particulier sur la Croisade des Albigeois. Mon roman historique le plus abouti traite de l’exode de villageois, qui décident de partir, empêtrés qu’ils sont dans les sièges de Minerve, Montségur…J’ai écrit aussi des contes médiévaux, des fables : ces récits fictifs contiennent une morale. Mes romans sont de deux sortes : ce sont des fictions historiques ou des fictions contemporaines qui s’intègrent aux paysages locaux, de Corneilla, de Villeneuve ou de Pézilla… »

            Le but de G. Raynal est de faire découvrir des figures d’ici, qui ont hanté les territoires frères de Catalogne et d’Occitanie. Il s’empare d’un moment historique, qu’il enrichit par la recherche patiente et  le travail d’écriture. Il parle des gens simples : les faits ou moments de vie dispersés dans plusieurs familles sont réunis dans une vaste saga ; il s’agit de reconstruire la mémoire, de recoller les menus morceaux de l’immense mosaïque de l’Histoire locale ! Chez les Cathares, l’écrivain s’intéresse avant tout à l’aspect humain; par voie de conséquence, les Catholiques ne sont pas, c’est vrai, dans ces livres de vérité et d’invention, à leur avantage ! C’est ainsi que les héros fuient tous la croisade…A la dénonciation des compromissions du clergé et de la religion officielle, l’auteur préfère toutefois axer son travail sur la question de l’immortalité et la réflexion sur la mort : « Si je suis mystique ? Sans doute, car le sacré me passionne et m’interroge ; il y a mysticisme dans la mesure où mes personnages sont proches de Dieu. Je crois aussi à l’éventualité d’un retour à la vie sous forme de réincarnation ; ainsi, la présence des loups signifieraient, pour un de mes héros, la présence de sa tante : les bêtes seraient là pour le protéger. »

            Mysticisme, inspiration épique, mythe de l’éternel retour, ces thématiques sont stimulantes, mais l’originalité de Gérard Raynal réside plus dans l’écriture : dans le geste scriptural,  plus que dans la geste historique. En effet, dans L’Expiation de Jean, le Narrateur, Jean Lagarde, est le protagoniste principal, qui parle de son enfance en optant pour des points de vue variés et des distances différentes ; ainsi, dans les moments qui ne le concernent pas, ou quand il ne se reconnaît pas, il utilise la 3ème personne ; lors de moments dépressifs, il adopte une attitude paternaliste et se parle à la deuxième personne, dans une sorte de  dédoublement ; l’énonciation et la perspective narratives s’enrichissent avec l’emploi du « je » correspondant à l’époque traitée, l’année 1938, instant charnière entre l’exode de la guerre d’Espagne et les prémisses de la seconde guerre mondiale. La narration est, ici, chronologique, alors que dans les fictions sur les Cathares, le narrateur raconte son enfance en même temps que le siège de Montségur ; il s’agit d’une sorte de simultanéisme à la Dos Passos, où deux histoires avancent en parallèle. Ce sont les éléments du présent de l’écriture, qui ramènent la voix narrative au passé : des images, des odeurs, des bruits, des animaux, surtout, à la manière d’une « mémoire affective » proustienne déclenchant le souvenir primordial. Dans ce dernier roman, qui est l’histoire d’une famille, habitant à Puyjallier et à Can-Miraille, à la fois énigme et peinture sociale, le jeune héros tente d’élucider le mystère qui l’obsède, car ses parents sont impliqués dans des affaires troubles…Le lecteur s’attachera à cette enquête correspondant à l’investigation de la mémoire et à l’élucidation du moi ; il appréciera le portrait d’une mère autoritaire, qui vouvoie son enfant et terrorise son époux ; il  sera sensible au style d’un auteur qui sait de quoi il parle, quand il traite de la maladie des arbres fruitiers, quand il parle des « arrogances du soleil », ou quand il décrit la poésie d’une nature donnant à entendre « le coulis d’une source lointaine », et à voir des « vignes déroulant leurs alignements impeccables de combattants immobiles… » 

 

            Dites, Monsieur l’Agriculteur, on jurerait que vous n’avez fait que ça : écrire, et lire, et étudier. Et encore écrire… et de quelle façon ! Mais, c’est vrai, vous m’avez dit, à propos de ma remarque sur les imparfaits du subjonctif, qu’on pouvait être paysan et connaître aussi la langue…

 

 

                                                                                    Jean-Pierre Bonnel

 

 

* L’expiation de Jean - Les presses littéraires - en librairie (16 euros) ou chez l’auteur (04.68.54.51.27.)

 

Accueil