Jacques Gautrand vient de publier,
aux éditions « Le Pré aux Clercs », un essai qui analyse
l’emprise de tous les écrans sur notre vie quotidienne :
L’Empire
des écrans Originaire
d’Elne, où son père était premier adjoint au maire Narcisse Planas et sa mère
animatrice d’associations culturelles, Jacques Gautrand a vécu jusqu’à ses
dix-huit ans la catalanité illibérienne. Après des « humanités »
brillantes au Lycée Arago de Perpignan et un bac littéraire avec mention bien,
il s’écrie, tel un Rastignac des temps modernes : « Paris, à nous
deux ! » C’est ainsi que le jeune provincial « monte »
à la capitale et prépare Sciences-po. Son ambition n’est pas la politique,
mais le journalisme. L’écriture ! Cette amante précoce le tient depuis
la prime adolescence : poésies, nouvelles, ébauches de
romans, création d’une revue littéraire en Catalogne…les gammes
sont multiples. A Paris, la première publication notable consiste en un livre
de poèmes et de photos sur le quartier de Barbès, aux éditions du MRAP. Puis, le journalisme, ce fut d’abord quelques années passées au magazine « Jeune Afrique », où J.Gautrand eut le plaisir de travailler avec Amin Maalouf, avant le succès éditorial de Léon l’Africain. En suite, l’expérience d’attaché d’Ambassade à Kigali, au Rwanda, avant le génocide, et à Canberra, en Australie, lui permit de prendre du recul et d’observer de près les questions africaines et australes. Et d’en ramener des poèmes qui sont autant de brassées de couleurs, de coffres de senteurs et de musiques exotiques. A partir des années 1990, J.Gautrand se spécialise en économie et devient journaliste au mensuel « L’Expansion », où il va devenir animateur de conférences-débats dans les grandes villes françaises et européennes. Enfin, voici, avant les cinquante ans, le grand livre, l’essai qu’il porte en lui depuis des années : L’empire des écrans ! L’ouvrage, écrit
de façon claire et lisible, mais fortement argumenté et nourri aux meilleures
sources culturelles et intellectuelles, s’interroge sur la fascination que les
médias exercent sur nous, consommateurs effrénés d’images, de spots, de
scoops, de clips, de pubs ou de slogans. Il analyse l’emprise des écrans, de
toutes ces lucarnes plus ou moins étranges, qui nous font confondre la
virtualité et la réalité, le rêve idéal et le quotidien grisâtre, l’expérience
et le simulacre, le présent et l’anticipation, le licite et la transgression.
A l’heure où les (télés)spectateurs ont l’impression d’être manipulés
par les médias, les lofteurs, les sondeurs et le charlatanisme et la vacuité
de certains discours politiques,
Jacques Gautrand pose la question
essentielle : « Les écrans vont-ils détrôner les grandes idéologies
et les religions en déclin, condamnant ainsi la majeure partie de la population
à vivre et à penser par procuration. ? »
L’auteur ne se contente pas d’interroger la société du spectacle,
l’économie « spéculaire » des médias et l’économie de spéculation,
il analyse et apporte des réponses, tout au long de chapitres denses, tels que
« de la toile à la Toile », « le règne de l’instant perpétuel »,
« exhibition », ou « Eros et ses écrans »… C’est avec un goût prononcé pour le bon mot et la formule qui fait florès, que J.Gautrand montre notre goût du voyeurisme, de l’exhibitionnisme et de la mise en scène de nous-mêmes. C’est ainsi que le lecteur sera sensible à des expressions comme « Je n’existe socialement que parce que je me connecte. », ou « Le cinéma nous a fait passer de l’image durable à l’image labile » ; à l’époque du « virtuel », ou réalité à venir, l’individu vit dans « l’imagine-ère » ; consommateur passif, on peut espérer en sa volonté : il deviendra, alors, un « spect-acteur » (page 77) ; cependant, cet « homme pressé », qui rappelle Paul Morand, vit, pour l’instant, dans « une société « bouillon-cube », à l’instar du concentré Maggi, du café instantané, du lait concentré, du Reader’s Digest ou du compact-disc… »(p.109). Notre seul regret, dans cette passionnante radioscopie des divers « écrans » de la modernité –télé, publicité, internet, infos-, c’est que l’auteur ait fait écran sur un précurseur dans le domaine de l’image et de la photo : le philosophe Walter Benjamin. Ce grand penseur, mort à Port-Bou, est sans doute trop à la mode… Souhaitons à Jacques Gautrand de l’être aussi, très vite, grâce à son originale incursion de l’autre côté du miroir médiatique… Jean-Pierre Bonnel * L’Empire des écrans- essai
– Le Pré aux Clercs – Paris – 2002 – 15,90 Î
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