PASSAJADA  à  ESTAGEL…              Actualité d’Etienne Arago

 

La municipalité d’Estagel va célébrer, cet été, le bi-centenaire de la naissance du frère de François.

L’avocat François Sarda, du barreau de Paris, fait paraître un ouvrage sur la famille Arago et « l’Aragocratie ».

La longévité et l’itinéraire politique, littéraire, théâtral…d’Etienne permettent de comparer sa vie à celle de l’auteur des Misérables.

 

 

                        Etienne ARAGO

            Le Victor HUGO

            des P.O.

 

 

Qui se souvient de cet homme élégant, énergique, à la faconde méridionale, à la persévérance tenace, né un 9 février, à l’Hôtel de la monnaie de Perpignan et huitième enfant de Raymond-Aventure Arago, d’Estagel.. ? Etienne n’est pourtant pas né au début d’une année banale : 1802 suggère d’entrée la présence de Victor Hugo ; d’ailleurs Etienne aimait parodier les vers célèbres du poète :

« Ce siècle avait deux ans, a dit Victor Hugo,

Et je le dis aussi, moi Z’Etienne Arago. »

Les médias ne parlent que du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo. L’auteur des Contemplations est immense, bien sûr, mais on oublie ainsi de fêter d’autres grands hommes, dont la vie court tout le long du riche dix-neuvième siècle. C’est ainsi qu’Etienne Arago, méconnu dans son propre département, écrasé par la gloire et l’aura de son frère aîné, François l’astronome et l’homme politique de 1828, demeure un « célèbre inconnu » en France ! Or, avec lui, comme avec Hugo, qu’il vénérait, c’est toute l’histoire du dix-neuvième siècle, qui défile devant nos yeux ! (1)

  Son action et son œuvre sont immenses ! Ainsi, il a créé un journal anticlérical, voué aux lettres, aux arts et…aux scandales, qui deviendra le célèbre quotidien parisien Le Figaro ! En outre, il participe, en 1845, avec François et les Républicains roussillonnais, au lancement du journal L’Indépendant, toujours bien vivace ! Etienne va encore s’exprimer dans la littérature et le théâtre : il va écrire des poèmes, des chansons et surtout des vaudevilles ; ses œuvres dramatiques n’ont pas, bien sûr, la renommée de Ruy Blas ou d’Hernani, mais Etienne va tout de  même prendre la direction du Théâtre du Vaudeville, à Paris. En outre, grâce à ses poèmes et chansons, Etienne est consacré par Horace Chauvet « premier poète populaire catalan » et considéré comme une sorte de Béranger des Pyrénées-orientales ! (2) Comme Hugo, le révolté et l’auteur de fameux discours à l’Assemblée, l’enfant d’Estagel entre en politique. Dès la Révolution de 1830, nous savons, grâce aux Mémoires d’Alexandre Dumas, qu’il est, avec La Fayette, l’un des principaux acteurs du mouvement insurrectionnel. Ensuite, dès les premiers instants de la Révolution de 1848, il s’empare de la direction des Postes ! Il réforme ce ministère et crée, avec la loi du 24/8/1848, le « timbre-poste », qui se substitue ainsi aux autres affranchissements et paiements des divers envois : les Postes, pour un homme de Lettres, voilà un sacré coup médiatique ! Mais sait-on, aujourd’hui, à Estagel ou ailleurs, qu’Etienne fut l’inventeur de ce petit bout de papier, destiné à une longue histoire et célébré par ces collectionneurs érudits que sont les philatélistes.. ? Comme Hugo, après le Coup d’Etat de Louis Napoléon, -futur Empereur numéro trois, ce « Napoléon le Petit » stigmatisé dans Les Châtiments,- Etienne Arago, le petit Tiénou des Fenouilledes, va, lui aussi, entrer en opposition violente avec ce Louis Napoléon Bonaparte… Il doit quitter la France et se sauver en Belgique, Angleterre, Hollande, Suisse…Il va retomber dans l’anonymat et va goûter les joies amères de l’exil !

Il peut rentrer en France en 1859, à la faveur d’une amnistie, et mener une activité politique plus discrète ; il va tout de même se mêler aux débats des Jules Ferry et Léon Gambetta. Alors vint 1870 : la Commune ! Etienne revient sur le devant de la scène, comme d’autres écrivains, aux côtés du peuple de Paris, tels que le mythique Rimbaud, l’enragé Vallès ou le valeureux Victor : encore Hugo, et c’est la victoire, hélas éphémère, de La Commune ! Etienne écrit de nombreux textes sur Hugo, qu’il vouvoie et appelle « mon cher Maître » ou, en 1870 « mon très cher ancien collègue et compagnon d’exil. ». Avec les parlementaires, Etienne s’oppose à la Régence de l’Impératrice Eugénie : le peuple de Paris l’acclame et en fait son maire, sur proposition de Léon Gambetta, le 4 septembre 1870 ! Au même moment, Emmanuel, son neveu est ministre avec ce même Gambetta, chef du Gouvernement de Défense Nationale…Quelle famille, ils sont partout, les Arago, de la célèbre « caune » (grotte préhistorique située dans un territoire qui appartenait à la famille Arago d’Estagel)  jusqu’à la capitale : c’est bien une « aragocratie » ! Vouée à la défense des valeurs de la République, Etienne ne sera, pour Paris, qu’un maire bien passager : en effet, il démissionne le 15 novembre, estimant qu’un maire non élu, simplement choisi par acclamation, n’a pas une reconnaissance officielle. Elu des Pyrénées-Orientales, il démissionne aussi, le 8/2/1871, en raisons de missions diplomatiques importantes en Italie.

En fin de parcours, -mais quel parcours ! -, Etienne devient conservateur du musée du Luxembourg ; son rôle, ici, est plus contesté : E.Arago semble ne pas avoir compris la modernité des impressionnistes ; pas un Claude Monet au Luxembourg ! Etienne a 70 ans…Il revient une dernière fois à Perpignan, pour l’inauguration de la statue de François, en 1879 (3). L’ombre et l’influence de V.Hugo le poursuit : il se laisse pousser, écrit-il avec humour et modestie, sa « barbe blanche, de sorte que je me fais l’effet d’un Hugo, moins le génie et Juliette. Il y a compensation… » La ressemblance avec Hugo se poursuit, de façon plus sérieuse, en littérature : Etienne veut publier un recueil de souvenirs intitulé Ce que j’ai vu. Mais quand Choses vues, la célèbre publication posthume de Victor, est édité, Etienne brûle ses souvenirs ! Arago brûle ses vaisseaux…Mais quand on dit « Arago », on sous-entend « François » ! Il faut réhabiliter Etienne, homme du dix-neuvième siècle, dont l’action en tant que journaliste, homme politique, maire de Paris, Directeur des Postes, etc, fut exemplaire. Son œuvre est bien ancrée dans son siècle et ne le déborde pas, comme celle d’un Victor Hugo, « ouverte » sur d’inépuisables lectures et offerte à l’éternité de l’histoire humaine…

 

 

                                                           

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(1) Grâce, surtout, au livre essentiel de Muriel Toulotte :   Etienne Arago, 1802-1892, Une vie, un siècle (Publications de L’Olivier1993)- La mairie d’Estagel, dirigée par Madame Lucile Suspuglas, invitera l’auteur pour les fêtes et célébrations croisées d’Etienne et François, l’été prochain, ainsi que François Sarda, qui raconte l’épopée des Arago aux éditions Tallandier, et d’autres historiens locaux (Aymat Catafau, Alain Ayats…, publiés aux « Trabucayres ») ou nationaux, comme Max Gallo…

(2) Lire dans Massana, IX, n°34, 1977 : La Passajada d’Estagell, Les Minyones del Rossello…*

(3) cf. Michel Cadé : les inaugurations des trois statues d’Arago dans les P.P., dans Annales du Midi 183, juillet 1988.

Illustrations : Etienne Arago sous la Monarchie de Juillet, commandant de la Garde nationale (Musée de la Poste, Paris) – Timbre-poste commémorant la journée du timbre de 1948 et reproduisant le portrait d’Etienne – Photo d’E.Arago, à la fin de sa vie (Archives privées : R. et H. Gerest) -