BIOGRAPHIE SUCCINCTE DE  RAYMOND MORETTI

 

 

                Le 25 juillet 1931, Raymond Moretti naît à Nice, patrie de Garibaldi, seule digne d’accueillir, dans l’esprit de ses parents - un charpentier anarchiste de Toscane et une femme de ménage ombrienne - un être libre, conçu librement. Enfance pauvre mais chaleureuse dans les ruelles de Nizza-La-Bella, capitale incontestée des Italiens qui ne peuvent supporter le régime mussolinien.

                1944: débarquement des alliés en Provence et découverte des bandes dessinées américaines que les G.I distribuent aux gosses entre la tablette de chocolat ou de chewing-gum et le paquet de Lucky-Strike que les adolescents d’après guerre gardent dans leur mémoire comme Proust sa madeleine.

De Branner –auteur de Bicot et les ran tan plan- à Rembrandt il n’y a qu’un pas que Raymond Moretti franchit dans l’allégresse de ses dix-sept ans. Initié au dessin classique pour lequel il manifeste une prédisposition certaine, nourri depuis l’enfance de la lecture de la Bible, il peint dans la cuisine du modeste appartement paternel un “ Moïse brisant les tables de la loi ” sur un drap de lit, 140 de large et coton grand teint, dérobé à sa mère. Un éditeur local, séduit par son enthousiasme juvénile et par la puissance qui, déjà, se devine dans ses premières œuvres, lui demande d’illustrer “ L’Art d’Aimer d’Ovide “, premier d’une longue série de livres d’art qu’il ne réalisera qu’après avoir gravi les premières marches de sa vie d’homme.

Apprenti boulanger à treize ans parce que la vie était dure, il a appris à ne plus dormir. Et c’est fou ce que l’on voit de choses, ce que l’on rencontre de personnages, ce que l’on se fait d’amis quand on ne dort pas. Les paysages de Delacroix, il les découvre à l’aube ou au crépuscule, au Maroc, pendant son service militaire où son patron, bientôt son ami, est l’ancien chef de la glorieuse escadrille Normandie Niemen, Louis Delfino, avec lequel il ne parle que le niçois et qui lui laisse toute latitude pour se livrer à l’art du croquis et à la connaissance des êtres fascinants que l’on peut croiser sur le pourtour du bassin méditerranéen.

Retour à la vie civile et vache enragée qui, pour Moretti, devient très vite gigot de pré-salé tant son talent lui vaut d’amis, tant son verbe séduit ses interlocuteurs, tant son art éclate. Car le noctambule des boîtes de la Côte, le compagnon des conversations de l’aube, travaille, travaille comme un fou. Souvenez-vous, il ne dort pas ou presque ! Il a vingt-quatre ans. Déjà la silhouette noire. Déjà le cigare toscan fiché à la commissure des lèvres sans amertume mais lourdes de tous les baisers d’une riche expérience.

Un collectionneur important lui achète le “Moïse” du drap de lit. Le musée de Jérusalem l’exposera désormais à ses cimaises. D’autres toiles s’entassent, à la villa Paradiso, anciennes écuries d’un grand château près de Cimiez, où Jean Médecin alors maire de Nice, lui a donné son premier atelier officiel.

Jean Cocteau qui n’a jamais manqué depuis les années 20 un être exceptionnel veut le rencontrer, le rencontre, l’admire, l’aime comme un artiste déjà âgé peut en aimer un autre en plein essor. Seul l’art et le jazz les unissent et c’est suffisant. Ensemble ils réalisent une série de dessins, huiles, gouaches et plâtres, “ l’âge du verseau ”, en 1962-1963, à la villa Paradiso. Ensemble ils parlent de Ravel, de Debussy, de Satie, de Diaghilev, de Darius Milhaud, tous amis de Cocteau. « Je ne suis d’aucune école, dit Moretti, je ne suis

 même pas un peintre, je suis un homme qui peint ». Aucune réflexion ne pouvait plus séduire le poète qui, toute sa vie, avait proclamé que, « dans l’art, il n’y a pas d’école mais des hôpitaux ».

Picasso, le voisin de Mougins, a lui aussi l’œil sur cet étrange personnage dont on commence à parler. « Mais qu’est-ce que tu fabriques avec Moretti demande-t-il à Cocteau. «  Eh ! Eh !c’est un secret... ». Le “Vieux” se vengera des cachotteries de son copain de toujours en faisant connaître à la presse internationale “la machine à peindre d’un continent à l’autre“ imaginée, au cours d’un dîner dans un restaurant chinois, par ce Raymond Moretti à l’imagination fulgurante, à l’œuvre déjà solide et plus connue, comme il se doit pour un jeune artiste français, à l’étranger que dans son pays. Grâce à Picasso voilà l’injustice réparée. Les médias s’emparent du “cas Moretti” et Cocteau qui s’estime à juste titre “l’inventeur” de Moretti - inventeur dans le sens juridique de découvreur de trésor - lui consacre, six mois avant de mourir, la une des Lettres Françaises, ce qu’il n’a fait que deux fois dans sa vie. Il parle de quarante toiles gigantesques qui dorment dans son atelier. « Si je ne connaissais pas la surprenante faculté d’improvisation de Moretti, je pourrais le croire atteint par la folie des grandeurs. Mais c’est le sens de la grandeur qu’il possède et que je lui souhaite de rendre visible à tous. » ( Les Lettres Françaises, 11 avril 1963).

Le souhait de “Jean l’Oiseleur“ est réalisé en 1965. Première exposition parisienne. Première explosion. “ Les cris du Monde “, treize toiles géantes, lui valent la célébrité. On découvre son œuvre. Sa voie est toute tracée : expos, vente à de riches collectionneurs, fortune et succès mondain...

Dès lors, tel Maupassant avec Flaubert, il n’a plus besoin de parrain prestigieux. Il est Moretti. Tout à la fois peintre, sculpteur, graveur, architecte il emploie ses dons et l’argent que lui ont apporté ses premières ventes à créer une œuvre gigantesque : « Le Monstre “, ainsi que le baptisera Joseph Kessel, l’ami de Cocteau des Années Folles à l’Académie française.

Né dans les studios de la Victorine à Nice, en 1965, Le Monstre grandit, envahit une pièce puis deux, éclate, pèse douze tonnes quand Moretti s’installe à Paris, en 1971, dans le dernier pavillon des Halles de Baltard. Lorsque, grâce à Picasso et au Ministre de la Culture, Jacques Duhamel, le peintre trouve asile en 1973 à la Défense après la destruction du «Ventre de Paris”, Le Monstre, abrité dans une grotte de béton profonde de cinq étages, mesure trente mètres de long, treize de large, sept de haut et pèse vingt tonnes ! On vient le voir du Monde entier et Raymond Moretti est célèbre. Mais il ne s’est pas endormi sur les lauriers du succès. Jugez plutôt :

                1961: Illustration du “ Bateau Ivre “.

                1967: Exposition à La Courneuve de l’ensemble de son œuvre. Triomphe.

                1972: “ La rue Saint-Denis “, huiles, gouaches, dessins, inspirés par le séjour de l’artiste dans le quartier des Halles.

                1979: « Le Mur du Forum des Halles ». Illustration de “ La Haggadah “, partie de la Torah - le Pentateuque que les Juifs lisent au soir de la Pâque et pour laquelle le Grand Rabbin d’Israël, enthousiasmé devant le travail de l’artiste, réinstitue la Vème Coupe, supprimée en signe de deuil après la destruction du Temple de Jérusalem.

                1980: “ De Gaulle - Malraux “. Exposition à la Défense puis à l’hôtel de Ville de Paris.

                1981: Illustration des “ Illuminations “ de Rimbaud et « Le Pendule des Quatre temps “, immense sculpture qui orne la galerie marchande de la Défense.

                1982: “ Massada “, gouaches, dessins, lithos, font revivre le drame des derniers résistants Juifs à l’occupation romaine sur des textes de Flavius Josèphe, Moshé Dayan, Uzi Narkiss et Yves Courrière. L’exposition est inaugurée, le 21 janvier 1982, par le Président de la République François Mitterrand et l’Ambassadeur d’Israël Meïr Rosenne.  En octobre 1983 elle reçoit un accueil triomphal à New York où les principales chaînes de télévision lui consacrent l’ouverture de leur journal.

                1982: “ Le Chemin Initiatique “, quatorze lithographies illustrant la démarche intellectuelle des membres de la Grande Loge de France.

                1983: Illustration de l’œuvre complète de “ Céline “.

Loin d’être l’artiste qui se cloître dans sa tour d’ivoire, Raymond Moretti vit de plain-pied avec son temps, peint des affiches pour le cinéma, des pochettes de disques, des couvertures de magazine (notamment pour le Magazine Littéraire et Le Point), décore le plateau de TF1 et France Inter pour les “ élections présidentielles “ et “ législatives “ de 1981, dessine, pour Vacheron-Constantin, la “ Kallista ”, la montre la plus chère du Monde (environ un milliard de centimes de diamants) décore la façade du musée de “ Terra Amata “ à Nice, sa ville natale, grave pour l’administration des Postes Françaises deux timbres “ Le Maquis ” et “ Le Débarquement ” qui sortiront en 1984, élabore même pour la Banque de France, un billet qui, par la complexité des traits et des couleurs, posera demain mille problèmes aux faussaires mais en pose dès aujourd’hui aux imprimeurs nationaux !

Enfin c’est, lancée lors de la présentation des vœux (pour 1983) de l’artiste à la télévision française, l’idée utopique de peindre le Mur de Berlin. Les riverains ouest-allemands, les enfants, les artistes, les savants pourront y mettre la patte...Utopique, Moretti ? Que non. L’idée prend corps. On peindra à la Défense sur des panneaux de 2,50 m de hauteur sur 1,40 m de largeur, mis bout à bout sur une longueur de 46 kilomètres et le Mur de Berlin se promènera dans toutes les grandes villes du globe, démontrant la folie des hommes.

L’Amérique, le Japon, l’Allemagne bien sûr et bien d’autres pays délèguent leurs reporters - et même leur rédacteur en chef pour l’Asahi Shinbum, le plus grand journal de Tokyo et de l’univers - dans l’atelier souterrain de la Défense. Aux journalistes, à la télévision, Moretti expose son projet. Il commence demain...

Malgré les réticences de banquiers pour lesquels l’humanité et l’art sont des “bricoles” qui ne se cotent pas en bourse. Souhaitons que, pour une fois, ils ne “gagnent” pas et que la peinture de ce mur voit enfin le jour, ou, mieux encore, que le mur disparaisse. On peut toujours rêver... Et voilà qu’en 1990 son rêve est devenu réalité !

S’il aime parfois se battre contre les moulins, Moretti n’est pas homme à se laisser abattre par le report sine die d’un projet. Mille autres se réalisent dans les domaines les plus divers :

                1945-1985 : Après le succès des timbres à la gloire de la Résistance et du Débarquement, commémorant le 40e anniversaire de la Libération, devenus pièces de collection tant les philatélistes se les disputent, les P.T.T récidivent avec une carte postale et un timbre en faveur de l’opération “ Sahel “ organisée par la Croix-Rouge française, et deux timbres “ Guerre et Paix “. Le Musée de la Poste consacre une exposition au peintre en présence du Ministre des Postes et Télécommunications.

                1985: Les bandes de mille couleurs qu’il a conçues pour magnifier la ligne du fuselage Concorde, à l’occasion du cinquantenaire d’Air France, reçoivent le Grand Prix du Logo attribué par le journal Les Échos. Sommet de l’art de la publicité.

                1985-1986 : Illustration de “ Jazz “ sur un texte de Frank Ténot. Son amour de la musique noire qui a bercé sa jeunesse et l’entoure toujours éclate dans les portraits des Grands qu’il a connus : Armstrong, Ella Fitzgerald, Stan Getz, etc... suite magnifique qui accompagne le livre d’art, chef-d’œuvre que tout amateur éclairé rêve d’avoir dans sa bibliothèque. Suivent trois volumes sur Jacques Brel : “ L’Homme de la Mancha “ et “ l’œuvre poétique “ du grand artiste trop tôt disparu. Don Quichotte et Dulcinée ont désormais dans nos mémoires les traits que leur a donnés Moretti.

Art Expo, la plus grande manifestation d’art à New York lui demande son affiche. “Manhattan “, explosion de couleurs, règne sur les panneaux de Big Apple. Le New York Coliseum organise une manifestation en l’honneur du “ protégé de Picasso “ dont les œuvres figurent dans les musées et collection privées les plus importantes à travers le Monde.

                1986: Après des expositions aux quatre coins de l’Europe, La Défense, son village minéral, consacre à Moretti une grande rétrospective.

                Octobre 1986 : L’Imprimerie nationale lui demande d’illustrer les “ Chroniques Italiennes ” de Stendhal dans la prestigieuse collection “ Lettres Françaises “ et organise à l’occasion de sa sortie l’exposition “Raymond Moretti à l’Imprimerie nationale” inauguré par Alain Juppé, ministre du Budget. « Tous les livres que j’ai illustrés sont écrits dans ma mémoire, dit alors l’artiste. Désormais ils font partie de ma vie, comme le reste de mon œuvre. J’ai toujours eu en tête d’illustrer des livres car, pour moi, c’est de la peinture, de l’art tout simplement ».

                1987: La compagnie Air France qui se souvient du triomphe de l’affiche du cinquantenaire lui demande celle du “ centenaire de l’Institut Pasteur “ auquel elle participe. Elle fera le tour du Monde et figure dans la vingtaine d’instituts qui portent le nom de Pasteur sur les cinq continents.

                7 février 1988 : Jumelage de la grande synagogue de la Victoire à Paris avec la grande synagogue Hekhai-Schlomo à Jérusalem. “ La Yona ”, colombe biblique stylisée à l’aide des caractères de l’alphabet hébreu par Raymond Moretti, orne désormais le porche des deux sanctuaires. Elle figure également sur le timbre que les P.T.T commandent au peintre pour honorer la synagogue de la Victoire. Réalisé par le plus grand graveur français d’après le dessin de Moretti la Yona en or commercialisée en 1989 est appelée à devenir un bijou aussi prisé par nos compagnes que l’étoile de David ou le haï traditionnels.

                Août 1988 : “ Saint-Émilion “, ville bénie du vin, se place sous le signe de Moretti dont les œuvres géantes (6 m x 7,50 m - 7,20 m x 10 m) éclatent de couleurs et de lumières sur les façades des principaux monuments de la cité. « Saint-Émilion reconnaît Moretti-le-Grand, Moretti-le-Magnifique », écrivent les journaux locaux.

                1989: Année du Bicentenaire de la Révolution. Le peintre illustre à la demande d’Yves Mourousi le “ calendrier républicain ” d’après la Marseillaise de Rude, et conçoit avec Louis Clair, l’éclairagiste de la Grande Arche de la Défense, “ L’Arbre Lumières “. Assemblés sur un socle figurant une carte de France, des faisceaux tricolores en acier et en verre s’élanceront vers le ciel « comme un message de liberté » tandis qu’au centre un module métallique réfléchira « le feu de la Révolution » et les branches lumineuses de l’arbre républicain. La sculpture, destinée aux municipalités intéressées - la première est celle de Massy - est réalisée par les Compagnons du Devoir.

Pour fêter dans toute la France le Bicentenaire de la liberté de la Presse, vingt-quatre journaux de la Presse régionale s’unissent pour affréter le train de six wagons qui présentera les grandes étapes de la naissance de la Presse moderne. Et c’est à Raymond Moretti que l’on demande de brosser la galerie de portraits des “ journalistes révolutionnaires ” qui de Mirabeau à Marat, de Condorcet à Hébert, de Desmoulins à Robespierre, ont illustré la Révolution. Tout comme on demande à l’artiste d’inventer la composition de la gigantesque fresque de 60 mètres de large sur 20 mètres de haut qui en dominantes bleues et rouges (les couleurs de Paris) sera le clou du spectacle pyrotechnique qui embrasera la Tour Eiffel le 15 juillet 1989 pour célébrer le drapeau français. Fresque colossale constituée de 45.000 jets multicolores qui, apparaissant juste avant le bouquet final, constituera une première Mondiale. A double titre la célébration du Bicentenaire de la Révolution est marquée au sceau de Moretti-le-Révolutionnaire dont trente ans plus tôt Cocteau et Picasso avaient su déceler les dons exceptionnels et le génie visionnaire. L’Express ou Vogue évoquant récemment La Défense, quartier phare de l’Europe, érigent l’artiste en porte-drapeau, lui qui y vit et y crée depuis deux décennies !

                Automne 1990: La couleur éclate dans l’univers de verre, d’acier et de béton de La Défense où Moretti habite depuis dix-sept ans. On lui a confié voilà plus de quarante mois la tâche herculéenne de décorer une triste cheminée d’aération qui culmine à 32 mètres. Pari tenu. L’artiste habillera l’excroissance inesthétique de 672 tubes de fibre de verre d’un diamètre variant entre 3 cm et 30 cm, et hauts de...32 mètres ! Près de 22 kilomètres de blanc, carmin, orange, bleu foncé, turquoise, violet, jusqu’à la gamme complète des verts partent à l’assaut et investissent le mirliton disgracieux qui se transforme en un arc-en-ciel vertical jailli des entrailles de la mégapole.

Le résultat est splendide. Au milieu d’une foule enthousiaste et des photographes internationaux, Danièle Mitterrand et Jack Lang témoignent de leur admiration à l’artiste qui n’a pas hésité à transformer le site - « Avec tous ces buildings de verre, explique-t-il à ses visiteurs éberlués, je me suis dit : « Si je mets de la couleur, cela va se refléter partout  J’ai alors conçu un mélange optique qui varie selon la lumière. Même la nuit, éclairée par de puissants projecteurs, la cheminée prend un relief différent. Réfléchie par les autres buildings, elle se transforme. J’ai joué sur la verticalité, le volume, et cela a demandé un grand effort technique ». Jugez plutôt : 2.100 heures de montage pour mettre en place les précieux fils de verre que deux cents personnes ont convoyés par péniche de l’usine de fabrication jusqu’à l’esplanade du Général De Gaulle, prestigieuse allée centrale de La Défense où trône “ Le Moretti “ dans l’axe de l’Arche. A la suite de l’évènement Paris-Match consacrera trois doubles pages à « l’un des plus grands peintres et sculpteurs contemporains ».

Le mois suivant (16 décembre 1990), en présence du Grand Rabbin René-Samuel Sirat, Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, inaugure à Troyes le “ mémorial Rashi “- une sphère en acier carbone de 2.80 m de hauteur gravée de signes hébraïques - hommage au plus populaire des rabbins du Moyen Âge, conçu par Raymond Moretti et réalisé par les Compagnons du Devoir, les seuls artisans capables - comme à l’ère des cathédrales - de relever encore de tels défis en cultivant le sens du rêve et de la création.

Deux œuvres d’art marquées au sceau du gigantisme n’empêchent nullement l’artiste de se pencher sur les quelques centimètres carrés d’une série de six timbres, témoignage d’admiration de la Poste à la chanson française. Sous les pinceaux et les crayons de Moretti revivent Maurice Chevalier, Edith Piaf, Georges Brassens, Jacques Brel, Aristide Bruant et Tino Rossi. Il faut avoir vu à l’Olympia de Paris, à Sète, ville de Georges Brassens, et à Ajaccio, patrie de Tino Rossi, les files d’attente formées par des milliers d’amateur enthousiastes et désireux de profiter de la vente anticipée de ces timbres originaux, pour mesurer le succès du peintre auprès des philatélistes des années 90. C’est lui que l’Imprimerie nationale chargera de célébrer, par une nouvelle vignette postale, ses 350 ans d’existence. Lui encore à qui l’on demandera en 1991 aussi bien l’affiche - splendide -  du “ Podium d’or “ récompensant au Sportel de Monaco le meilleur ralenti sportif télévisé, que celle illustrant, à travers “La Marseillaise” de Rude, la campagne “ Les Français avec leurs soldats ” destinée à soutenir le moral de nos troupes engagées dans la guerre du Golfe. Lui enfin qui créera en octobre 1991, la “ Colombe de la Paix ” sculpture tirée à dix exemplaires, et que Radio Shalom qui fêtait ses dix ans remit à des artisans de la Paix, de la Liberté et du dialogue, tels le professeur Léon Schwartzenberg, Bernard Kouchner, Beate Klarsfeld ou l’abbé Pierre.

                16 novembre 1991 : L’hebdomadaire national Le Point demande à Raymond Moretti d’illustrer son 1000e numéro d’une série de onze dessins originaux dont le premier orne la couverture de « Vive l’écrit », édition spéciale du magazine publiée à l’occasion de cet anniversaire.

                Juin 1992 : Commémoration encore. C’est le 300e numéro du fameux Magazine Littéraire. Cela fait vingt ans que Raymond Moretti, chaque mois, interprète à sa manière inimitable - et pourtant si souvent imitée, plagiée devrai-je dire - le visage des plus célèbres écrivains d’hier et d’aujourd’hui. Pour la couverture de ce numéro 300, Moretti ne donnera pas son 235e portrait (il illustre le Magazine depuis le n° 65), mais sa vision de la colonne de l’église des Jésuites (1705) à Vienne qui symbolise le dossier de ce numéro consacré à “ l’âge du Baroque ”, un thème qui va comme un gant à l’auteur du Monstre : Ce n° 300, avec un supplément de quinze portraits d’écrivains choisis parmi les préférés de l’artiste et du public, s’arrache dans les kiosques et devient aussitôt objet de collection.

                Mai 1993 : Moretti signe son quinzième timbre en neuf ans, en hommage à “Django Reinhardt ”, l’un de ses musiciens préférés qui lui a appris le jazz pendant la guerre quand le quintet du Hot Club de France faisait une timide apparition sur les ondes de la radio en essayant de faire oublier à l’occupant nazi qu’il jouait de la musique “négro américaine” ! Il vient de créer le “ Django d’or “, sculpture reproduisant la signature stylisée du génial gitan, surmontée de guitares de laiton argenté multipliées à l’infini selon la technique chère à l’artiste comme elle l’était déjà à des peintres indiens du XVIIIe siècle inconnus en Europe. Le Django d’or devient aussitôt le trophée qui est au monde du jazz ce que l’Oscar est au cinéma, le Molière au théâtre ou le 7 d’Or à la télévision. Cette même année 1993 voit l’ouverture à Paris, près de l’Arc de Triomphe, de la «maison France-Israël ” pour laquelle Moretti réalise des fresques remarquables à travers lesquelles il évoque le mélange des deux cultures française et hébraïque.

                Janvier 1994 : On apprend le début de la réalisation du projet grandiose mais mystérieux que, depuis des mois, le peintre disait destiner à une importante ville du sud de la France. La ville : Toulouse ; le lieu : rien moins que la place du Capitole ; l’œuvre : simplement l’histoire de la cité des capitouls, de l’Antiquité au métro ! Dominique Baudis, maire dynamique de la Ville Rose, a confié à l’artiste la galerie à l’italienne qui fait face à l’entrée de l’Hôtel de Ville et le sol entièrement rénové de la place prestigieuse. Sous les arcades les plafonds sont constitués de vingt-neuf caissons. Moretti a conçu pour eux vingt-neuf tableaux aux dimensions considérables de 2,50 m sur 3,10 m, illustrant les grands moments vécus par la cité depuis plus de deux millénaires, du martyre de Saint-Sernin (Saturnin) à l’épopée cathare, du siège de Toulouse aux heures héroïques de la Résistance, des pionniers de l’Aéropostale (l’hôtel Au Grand Balcon où vécurent Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet et Collenot est à un jet de pierre) à l’Airbus, de Jean Jaurès à Claude Nougaro, maître en mots et en images qui parlent. Le projet réalisé - chaque œuvre sera traitée en sérigraphie (l’encre sérigraphique résiste aux intempéries) pour être accrochée dans les caissons éclairés - le promeneur flânant à l’ombre de la galerie pourra remonter l’histoire de Toulouse en cheminant nez en l’air sous les arcades.

Quant au sol, Raymond Moretti a conçu pour lui une immense “ Croix du Languedoc ” en bronze, incrustée dans la pierre de la place, cette fameuse “croix pommelée d’or de douze pièces” qui figure dans les armoiries de 1664, inscrite dans un carré de 20 mètres de côté devant l’entrée du Capitole. Dans chacun des trois fleurons couronnant chaque branche de la croix, un des douze signes du zodiaque, également en bronze. L’ensemble comme posé sur des improvisations, en bronze encore, imaginées par le peintre sur le thème unique de la croix, le tout mêlant le brut de fonderie au bronze poli. L’œuvre, colossale, ne sera terminée qu’à la fin de 1995 car, pour chaque caisson, pour chaque signe du zodiaque, Raymond Moretti, soucieux de démocratie, propose plusieurs esquisses parmi lesquelles les élus toulousains choisiront celles qui s’offriront au regard vertical de leurs administrés et des millions de touristes qui viendront les visiter. C’est ainsi plusieurs centaines de dessins qui composeront la “suite” la plus prestigieuse qu’on puisse imaginer sur la cité des violettes.

 

                Novembre 1994 : Sa ville natale commande une affiche du peintre ainsi qu’elle  l’a demandée hier à de grands aînés. A l’occasion du Centenaire du cinéma, thème du 112e “ Carnaval ”, Raymond Moretti - après Pablo Picasso, Henri Matisse et Marc Chagall - illustre Nice. Durant 18 jours et 18 nuits le cœur de la Baies des Anges bat au rythme coloré de Moretti, tout comme la Une de Nice-Matin  qui fête son cinquantenaire.Les 245.358 exemplaires  du grand quotidien régional viennent s’ajouter aux 115.000 affiches, affichettes et dépliants - programmes du Carnaval.

                Janvier 1995 : Abandonnant le panneau géant (4x3 mètres)  de l’affichage public, Raymond Moretti s’attaque au très petit format (10x3 centimètre) en réalisant son seizième timbre en dix ans. Il est consacré aux “ Terres Australes et Antarctiques françaises “ (T.A.A.F)  et au navigateur aventurier Guillaume Lesquin, grand chasseur de phoques et d’éléphants de mer dont l’huile était fort prisée au XIXe siècle. Le chasseur qui vient détruire  sera rouge sang, le phoque blanc, symbole de pureté de l’animal, et le ciel de l’Antarctique bleu clair pour aller vers le bleu cobalt, plus noir au contact des hommes. Ce timbre exceptionnel reçoit cette même année le  Grand Prix de l’art philatélique des Territoires d’Outre-Mer tandis  que, pour son 500è numéro (octobre 1995), Le Monde Des Philatélistes offre à ses lecteurs une couverture exclusive signée... Raymond Moretti.

                Avril 1995 : Le maire de Toulouse, Dominique Baudis, rend totalement la place du Capitole à la circulation piétonnière. La gigantesque Croix du Languedoc et ses douze signes du zodiaque qui ornent le sol de l’une des plus belles places du monde sont terminés. Enchâssée dans le granit rose et merveilleusement accordée aux façades qui l’entourent la Croix, symbole de la ville et de la région tout entière, trouve aussitôt sa place dans le cœur des  Toulousains. Lors des violentes manifestations sociales de décembre 1995 les grévistes - parmi les plus déterminés de l’hexagone - prendront bien soin d’allumer leurs feux de protestation à l’écart de “leur” Croix pour qu’elle ne subisse aucune dégradation.

                23 décembre 1995: Tout en poursuivant la réalisation des vingt-neuf œuvres qui orneront les caissons du plafond de la galerie à l’italienne de la place du Capitole, Raymond Moretti illustre la couverture du Point consacrée à une autre ville à laquelle l’artiste est particulièrement attaché : “ Jérusalem.” Sur un fond de ciel bleu d’azur on y retrouve, stylisés, épurés, les monuments symboles des trois religions monothéistes qui y sont nées et le long cortège des pèlerins qui se dirigent vers le Mur des Lamentations - tirage limité à 500 exemplaires - que la direction du grand hebdomadaire envoie à ses partenaires privilégiés. Elle est également choisie comme illustration de la carte de vœux du Point.

N’oubliant pas qu’il habite la capitale - La Défense en est le bastion ouest -Moretti offre à l’office de tourisme parisien l’affiche et la carte de vœux qu’il lui réclame depuis longtemps. C’est pour lui l’occasion de retrouver dans son dessin l’inconscience colorée et primesautière dont de plus graves sujets l’ont parfois éloigné en n’utilisant pour évoquer la plus belle avenue du monde et son Arc de Triomphe que des taches de couleurs tricolores dont la gaîté et la finesse de l’assemblage auraient enchanté Dufy.

                1997: Après quatre année d’un travail acharné, le grand œuvre sur l’histoire de la Ville Rose est terminé. Vingt-neuf parmi plusieurs centaines de dessins réalisés autour des vingt-neuf thèmes décidés par la municipalité et l’artiste, vont être inaugurés sur la “place du Capitole “, l’une des plus élégantes de la planète.

 

Même année : le dessin ornant le diplôme envié du “ Concours Général “ couronnant les plus brillants élèves du secondaire est désormais signé Moretti, lui qui n’a ni brevet ni baccalauréat !

Et la médaille en bronze florentin accompagnée du pendentif en or édités par la Monnaie de Paris en hommage à Jérusalem est l’œuvre de Moretti, lui qui n’est pas juif de naissance !

Clin d’œil du Destin à l’un de ses enfants chéris.

 

                Avril 1998 : Après trois ans d’absence Raymond Moretti retrouve le monde de la philatélie française en signant, à l’occasion du quatrième centenaire de l’instauration de l’édit de Nantes, le troisième timbre consacré à l’un des textes les plus célèbres de l’histoire de France et à Henri IV, le souverain favori de la Poste qui lui a déjà consacré plusieurs vignettes.

 

Quelques mois plus tard c’est le quatre-vingtième anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918 que l’artiste célèbre en même temps que les sept principaux belligérants de la première guerre totale qu’ait connue notre planète. Les drapeaux en mille morceaux de l’Allemagne, Autriche-Hongrie, Etats-Unis, France, Grande Bretagne, Italie et Russie, symbolisent dans un éclatement coloré le chaos provoqué par cette première grande catastrophe d’un XXe siècle qui n’en sera pas chiche.

 

En cette même année 1998 c’est la Constitution de 1958 marquée au sceau de la République par le général De Gaulle, soucieux d’établir un régime stable, qui inspire Moretti pour son dix-neuvième timbre.

 

                1999 : Pour la fin du siècle Aéroports de Paris choisit d’offrir aux regards des millions de voyageurs qui empruntent chaque mois le hall principal de l’aérogare d’Orly Ouest, les vingt-neuf toiles qui ornent depuis deux ans les arcades de la place du Capitole. La galerue n’est plus seulement réservée aux Toulousains et à leurs invités qui, néanmoins, peuvent toujours contempler les principaux épisodes de l’histoire de leur ville - chérie puisque l’expo d’Orly est composée de 29 sérigraphies tirées des originaux enchâssés pour toujours dans les caissons séculaires du Capitole.

 

1999 est décidément “l’année Moretti” puisque après les 309 couvertures originales réalisées par le peintre durant plus de vingt-cinq ans pour le Magazine Littéraire et exposées à la célèbre Galerie ouverte par Pierre et Franca Belfond dans la vieille rue Guénégaud, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, c’est, sur la Rive droite, Pierre Cardin qui, au printemps, offre son célébrissime Espace aux quatre-vingt neuf gouaches préparatoires à l’œuvre colossale orgueil de Toulouse. Peu enclin aux félicitations que lui adressent capitaines d’industrie, hommes politiques et un parterre de stars où, autour de Pierre Cardin,, figurent Claudia Cardinale, Charles Aznavour (dont l’affiche des concerts qu’il donne dans le monde entier est signée... Moretti !) Raymond Devos, Jean-Claude Brialy, Claude Nougaro ou Michel Legrand. Quelques jours plus tard on s’aperçoit que les vedettes ne sont pas les seules à apprécier le maître. Un adroit cambrioleur dérobe quatre tableaux qui seront retrouvés quelques semaines plus tard au domicile d’un taggeur, peintre raté et bien connu des services de police !

                Pour saluer l’an 2000, c’est à Moretti que Madame Jeanne Augier, amateur d’art éclairé, propriétaire du Negresco le célèbre palace de la Promenade des Anglais, fait appel pour réaliser une lithographie originale destinée à ses fidèles clients, et surtout composer les cartons des sept tapis qui orneront le grand salon éclairé par la verrière de Gustave Eiffel. “Negresco : Moretti Royal !” titrera simplement Nice-Matin en annonçant le premier la nouvelle...

                Célébrité oblige. Après -entres autres - Folon, Miro, Zao Wooki, c’est à l’auteur des “Cris du Monde” que la propriétaire du Château Siran, premier grand cru exceptionnel de Margaux, mondialement connu, demande l’étiquette du millésime 98, célébrant la victoire de la France en coupe du Monde de football. A Moretti qui ne connaît pas grand-chose à ce sport et n’a, de sa vie jamais bu une goutte de vin ! Un paradoxe de plus mais l’artiste sait célébrer à sa manière tout ce qui, à un moment ou à un autre, a pu contribuer à la gloire d’une France qui a accueilli fraternellement ses parents et fait de lui un Français à part entière.

                Pour fêter le championnat du monde de hand ball, discipline apparue pour la première fois aux Jeux Olympiques en 1972 et que la France accueille pour la deuxième fois en janvier et février 2001, la Poste demande à l’artiste un nouveau timbre inspiré par ce sport fait de précision, d’intelligence et de rapidité, qualités que l’on retrouve dans toute l’œuvre de Moretti. Une fois de plus son talent fait merveille en 35x26 m/m tandis qu’à l’autre bout de la palette et jouant de dimensions peu communes pour des tapis, ceux commandés en salut à l’an 2000 par Madame Augier prennent place sur le magnifique parquet du salon royal de l’hôtel prestigieux dans un camaïeu de Bleu de Chine, Or et Vert émeraude tandis que la propriétaire, amateur d’art avisé, déclare « Le Negresco a voulu tourner une page et entrer dans le troisième millénaire. Ces tapis de Raymond Moretti les symbolisent et sont de vrais chefs d’œuvre ».

C’est bien l’avis d’un millier de gamins des Hauts-de-Seine qui, dans le même temps, contemplent à la grande Arche de La Défense l’agrandissement en une gigantesque fresque photographique quadrillée de 21,60m de long sur 3,50 mètres de haut d’une œuvre originale où Moretti a fait cohabiter Albert Einstein, Louis Armstrong, Tintin, Batman, le football et quelques éléphants ! Sur l’invitation du peintre, les petits bandits se sont inspirés de chaque pièce du puzzle photo comptant désormais 1035 fragments 21x29,7 pour donner à leur tour autant d’interprétations personnelles. Une centaine seront dispersées dans le cadre du téléthon au profit de la lutte contre les maladies génétiques, l’original étant destiné à l’hôpital Necker où sont soignés certains juvéniles amateurs, ravis d’aborder l’art sous cette forme iconoclaste et intrépide grâce à un homme dont la simplicité le dispute à la générosité.

C’est bien l’avis de Charles Aznavour qui a choisi son portrait démultiplié par Moretti pour illustrer l’affiche et le double C.D intitulé Dernière Tournée qui saluent son ultime prestation publique à bientôt quatre vingt ans. « Moretti a un trait formidable, dit le chanteur compositeur. Il a même du génie ». Avis que partage le comédien Jean-Claude Brialy qui a ouvert à Paris, en hommage à son ami d’adolescence, 6 rue Monsigny - c’est-à-dire la porte d’à côté du théâtre des Bouffes Parisiens qu’il dirige - une galerie consacrée à l’œuvre de Raymond Moretti. « Il était anormal qu’il n’existe pas dans la capitale un lieu permanent consacré à son talent exceptionnel ». Voilà qui est fait.

                                Peintre,  sculpteur,  illustrateur,  décorateur,  affichiste, Moretti, touche-à-tout de génie, adulé par les uns, détesté par les autres, commenté par tous, a été nommé dès 1984 “Personnalité de l’Année” pour la section des Beaux-Arts. Joseph Kessel avait bien jugé qui, en 1969, s’inquiétant de la folle entreprise du “Monstre”, écrivait : « Il y avait à Nice, au milieu du XXe siècle, un peintre qui voulait aller plus loin. Il avait le succès, presque la gloire. Mais il cherchait autre chose... ». Trente ans après, - Cocteau, Picasso, Kessel disparus - Moretti n’a pas changé. Il veut toujours que « la folie ait raison de la raison ».

 

            Yves  COURRIERE   14 janvier 2002

 

page précédente